Agriculteur à Cormoz (Ain), il a été mobilisé au 99e RIA (Régiment d’Infanterie Alpine), qui fait partie avec son semblable, le 97e RIA, de la 28e Division alpine, une unité de série A, c’est-à-dire parmi les meilleures de l’Armée française. C’est ce qui explique qu’après avoir passé la drôle de guerre dans le nord du Bas-Rhin, en avant de la ligne Maginot, cette division soit envoyée en urgence, par voie ferrée, à la mi-mai, sur le front de l’Aisne.
Le 2ème Bataillon, celui de Lucien Germain, débarque à Ciry-Sermoise, à l’est de Soissons, le 17 mai à l’aube, et gagne Missy, « où l’on voit les premières colonnes de réfugiés », puis les bois de la ferme Gerlaux. Le 19, « on assiste à un grand combat aérien où trois avions sont descendus » : amis ou ennemis, on ne sait. Le lendemain soir, sa compagnie, la 7ème, « prend position en avant du Chemin des Dames », à peu près en même temps que les Allemands atteignent l’Ailette (affluent de l’Aisne).
Activité de patrouille sur un terrain marqué par l’histoire
Le Chemin des Dames, cette crête du plateau séparant les vallées de l’Aisne au sud et de l’Ailette au nord ! Il n’est pas possible que Lucien Germain ne soit pas conscient que s’est déroulée justement là une bataille particulièrement sanglante, exactement vingt-trois ans auparavant. D’une certaine façon, il pourrait considérer que c’est une sorte d’honneur d’être appelé à combattre précisément sur ce terrain. Pourtant, dans son parti-pris de n’énoncer que les faits, sans trace d’émotion ou de commentaire, il n’y fait pas la moindre allusion !
Le 21 mai, « premières victimes au bataillon, deux morts, quatre blessés ». Pour la section, première mission l’après-midi, « ravitailler la 5ème compagnie en munitions sur le tunnel du canal de l’Ailette », donc sur le versant nord. Au cours de la nuit, il s’agit cette fois de la protection de téléphonistes qui installent une ligne. « On se perd dans le bois où rôdent des Allemands […], un téléphoniste tire un coup de mousqueton dans notre direction ». Deux fois encore, la même nuit, il aura à essuyer des tirs amis : « À minuit, on trouve le poste de la 5ème [Cie], où l’on est accueillis par des rafales de deux fusils mitrailleurs qui nous tirent à 30 mètres, mais personne n’est touché ». Enfin, sur le chemin du retour, après avoir été « poser des mines près d’un poste allemand », en passant près de la position d’une autre unité, « nous sommes tirés à la mitrailleuse et par miracle […] personne n’est touché ». Décidément, tout le monde est bien nerveux. Le 22, après un bombardement, un camarade « perd la raison et est évacué ».
Le 23 après-midi, on va « prendre de nouvelles positions au ravin des Vaumaires, où le corps franc du 1er Bataillon vient d’avoir des pertes sérieuses ». La compagnie se trouve donc à nouveau sur le versant de la vallée de l’Ailette, à proximité de l’entrée du tunnel du canal. Au cours de l’approche, on rencontre une patrouille allemande : « vive fusillade ». Le 24 : « Vers 11 heures, violent bombardement par des percutants qui explosent dans le bois à 2 ou 3 mètres de hauteur. Trois éclatent à moins de 10 mètres de moi. Je suis couvert de terre et de branches, ma baïonnette est coupée, mes équipements, qui sont sur le bord de la tranchée, sont hachés par les éclats ». Une tranchée ? Mais il n’a pas été question d’en creuser. Peut-être s’agit-il d’un vestige de l’autre guerre ? Germain note les noms de ceux qui ont été tués à ce moment-là : un commandant, un capitaine, un lieutenant, et un de ses camarades de la même section. « Dans la nuit, attaque allemande qui dure jusqu’au matin. Nous sommes encerclés, notre fusil-mitrailleur est enrayé, on se voit perdus, et comme par enchantement les Allemands se trouvent partis au lever du jour ». Le lendemain 25, deux nouvelles attaques, deux tués dans la section, mais l’ennemi est repoussé. S’ensuivent plusieurs jours de relative tranquillité. Et, dans la nuit du 3 au 4 juin, on est relevé et on revient à la ferme Gerlaux.
Poussée irrésistible des Allemands
C’est le 5 juin à 4 heures du matin que l’attaque générale se déclenche. Tirs d’artillerie et bombardements aériens. Les légionnaires ont lâché pied. L’infanterie allemande a une forte supériorité numérique. À noter qu’à aucun moment il n’est question de blindés, sans doute parce que le terrain ne s’y prête pas. Nous avons ici, semble-t-il, une pure bataille d’infanterie. L’unité de Germain reprend position sur la crête, dans la nuit du 5 au 6, pour protéger le repli du 97e RIA, à court de munitions. De loin, il voit des Français tenter, à travers les tirs de barrage, de s’échapper de la ferme de la Royère. Puis « une nuée d’hommes débouche de la lisière du bois qui se trouve à 1.500 mètres de nous. Les Allemands avancent en poussant devant eux des éléments du 97e pour nous empêcher de tirer ». Germain ne commente pas davantage ce qui est en fait un crime de guerre. « La 2ème section, se trouvant à notre droite, [est] anéantie, ce qui permet aux Allemands de nous dépasser pour nous encercler ». L’ordre est de se replier, sous le feu des mitrailleuses. La section a deux morts, dont un sergent, un disparu, et des blessés.
Dans la nuit du 6 au 7, on se replie encore sur Vailly (4 km plus au sud) et on repasse l’Aisne pour aller prendre position sur le canal latéral. À midi, on reçoit l’ordre de revenir sur la rive de l’Aisne. Mais, le lendemain 8 juin après-midi, quand il s’agit de se replier à nouveau, le pont est occupé par l’ennemi. C’est en jetant une passerelle de fortune (des peupliers abattus) à travers le canal qu’on arrive à s’ouvrir un chemin vers le sud et à parvenir jusqu’à la Vesle. Mais l’ennemi a atteint également cet affluent de l’Aisne. La petite troupe tourne un peu en rond et plusieurs sont faits prisonniers, mais en faisant un grand détour, à l’aube du 9, la section retrouve le Régiment à Sainte-Restitue, continue sur Oulchy-le-château, passe l’Ourcq, puis, le soir du même jour, la Marne, à Château-Thierry (toujours dans l’Aisne), « après avoir fait de 65 à 70 km à pieds en 19 heures ».
Du 10 au 18, la retraite se poursuit de Château-Thierry à Sancerre, par Montmirail, Provins, Nemours, Montargis, à pieds d’abord, puis, à partir de Nemours, généralement en camions, mais à travers les embouteillages. On franchit successivement la Seine, l’Yonne, puis la Loire (à Bonny). À Sancerre, le Régiment se reforme quelque peu et « nous enterrons 14 victimes du bombardement de la veille ». Du 19 au 22, en empruntant de petites routes à travers le Cher et l’Indre, on atteint enfin Bénévent l’Abbaye (Creuse), et une ferme, où l’on s’installe et où l’on reprend haleine. Il y aura le 29 juin, comme point d’orgue de la campagne, une prise d’armes à Saint-Léonard-de-Noblat (Haute-Vienne), en présence du général Weygand.
Lucien GERMAIN (1913-1992), Souvenirs de la guerre de 1939-40 [APA 3587] – Carnet à petits carreaux de format 8,5 X 14 cm. Notations journalières sommaires de septembre 1939 à mai 1940. Plus détaillées pour la partie 15 mai-22 juin, p. 17-55. Quelques traces de rédaction après coup, mais le tout semble avoir été écrit généralement au plus près des événements.
Mon père Paul Boyat, de Manziat dans l’Ain, a été mobilisé à Lyon au 99e RIA, 1er bataillon, en 1939. Il a participé aux combats de l’Ailette et a été fait prisonnier le 8 juin 1940 près de Laon, transféré au stalag XI A de Altengrabow du 14 juin 1940 au 15 juillet 1940, puis au stalag XI B de Falingbostel du 16 juillet 1940 au 07 décembre 1943.
Mon père ne m’a pas souvent parlé de ces moments difficiles. Se sont-ils connus et rencontrés à cette période ?
Pierre BOYAT
Les recherches avancent et après avoir consulté le cahier du colonel Lacaze,
j’ai constaté que Lucien Germain a rejoint la Creuse et de ce fait n’a pas été prisonnier, donc s’il se sont rencontrés, c’est sur le champ de bataille en juin 40.
Pierre Boyat fils de Paul BOYAT 2e cl 1er bataillon 3e compagnie.
Mon grand-père maternel Baptiste Paitre a rejoint le 3 septembre 1939 le CMI 145 de Chambéry. Il a été affecté au 97ème RIC, en tant que téléphoniste. Lors de la bataille de l’Ailette, dans l’Aisne, il a été fait prisonnier, le 8 juin 1940, et envoyé au stalag IV G en Allemagne. Libéré le 17 mai 1945 par les Alliés. Bon nageur, il put s’en sortir, lors de la bataille. D’autres n’eurent pas cette chance. Mémoire pour lui et ses camarades.