Il était étudiant en médecine, très fier d’être externe des Hôpitaux de Paris, et tout naturellement, à sa mobilisation, en septembre 1939, il a été affecté au service de santé. Après avoir exercé ses activités dans divers hôpitaux militaires (à Melun et à Paris), il arrive en avril à l’ambulance chirurgicale légère 283, qui est installée près d’Hagondange (Moselle), au château de Logne, mis à la disposition de l’armée par la Comtesse de L*.
Coupaye, modeste sans grade, est vite exaspéré par son activité quotidienne de frotteur de parquet à la paille de fer et, dès le 25 avril, exprime le souhait de suivre le peloton EOR de l’artillerie. La comtesse semble l’avoir pris sous sa protection et appuie sa demande auprès des hautes autorités avec lesquelles elle se flatte d’être en relation.
Étrange calme en dépit de la proximité du front
Mais le 10 mai, « vers 4 h. du matin, nous sommes réveillés par de violentes explosions ». Du 13 au 16, il est de service en salle d’opération. Il y a effectivement « pas mal de blessés » et « le canon tonne toujours ». Mais le travail qui lui est confié est un « boulot idiot, essuyage des instruments à longueur de journée ». C’est à la fois fatigant et ennuyeux. Et il espère plus que jamais être versé dans l’artillerie, grâce aux bons offices de leur hôtesse. Le 17, « nous avons assisté au bombardement de Hagondange par une grosse pièce boche qui tirait par-dessus nous. C’était assez impressionnant ».
Quand on sait ce qui se passe ailleurs tout au long de ce mois de mai, on est surpris que la vie à Logne, si près du front – ou en tout cas de la frontière allemande, qui n’est pas à plus de 30 km –, demeure si routinière. Le dimanche 26, les infirmiers gagnent par 8 à 2 leur match de football contre les officiers médecins ; le dimanche 2 juin, ils jouent une « partie de foot homérique avec les aérostiers. Nous avons perdu par 4 à 2 ». L’existence quotidienne du personnel de santé est soumise à toutes les petites tracasseries de la vie de caserne. Un lieutenant, en particulier, se rend insupportable ; dans le journal de Coupaye, il en prend pour son grade !
D’un autre côté, alors que « l’action avec un grand A [est le] seul rêve qui occupe ma pensée », la comtesse a échoué dans ses intrigues – ou peut-être ne s’y est-elle employée que très mollement –, en tout cas, il n’est plus question d’affectation dans l’artillerie : « En ce moment où la France est en danger sérieux, on nous défend d’aller dans une unité combattante ». Pour ne pas perdre son temps, Coupaye travaille ses questions d’internat. Ses tâches sont de plus en plus dépourvues d’intérêt. « Lundi 10 [juin]. Pas de travail à la salle d’opération. Je suis passé camoufleur et je peins les toits de nos baraques avec les volontaires américains ».
L’évacuation
Ce personnel sanitaire américain, notons-le, suivra le sort de l’ACL 283, tout au long de la retraite. Car, bien entendu, la situation se dégrade, et il faut envisager de fuir : du 11 au 13 juin, après avoir évacué les derniers blessés en traitement, on s’affaire à l’empaquetage du matériel. Le soir du jeudi 13 : « Départ en pleine nuit, tous feux éteints […]. Voyage très inconfortable, à 12 dans une ambulance […]. On a l’impression d’une débandade générale ». On traverse Nancy, on longe un aérodrome dont les hangars sont en flammes. Halte le 14, dans un petit village, Sauville (Vosges), où Coupaye et ses compagnons ne dorment que deux heures, dans un camion, car on repart à 1h30 du matin. La peur d’être faits prisonniers hante tous les esprits.
Le 15, en milieu de matinée, on s’arrête près de Gray (Haute-Saône), « la population est en effervescence et très gentiment nous offre à boire ». Le moral remonte : « Nous avons pratiquement gagné la course de vitesse avec les boches ». Ce soir-là, on arrive à Autun (Saône-et-Loire). Les soldats doivent trouver un abri de fortune, sous un hangar, avec des réfugiés. « Les officiers se montrent de plus en plus en dessous de leur tâche […]. Dès leur arrivée […], ils n’ont pensé qu’à leur dîner et s’en furent en chœur en quête d’un restaurant où d’ailleurs ils ont fort mal bouffé. Tant mieux, ils pourraient s’occuper un peu de leurs hommes ».
Quand on repart, le 16, on doit laisser une partie du matériel sur place, faute d’essence, et on roule lentement par des routes encombrées jusqu’à Varennes-sur-Allier (Allier), où Coupaye a la surprise de rencontrer son ami Constant. Mais celui-ci ne devait-il pas être en Belgique avec son Groupe Sanitaire Divisionnaire ? En fait, il a perdu le contact avec son unité.
Journées de tourisme au cœur de la France
Après une nuit dans une étable, Coupaye et ses compagnons prennent de petites routes où les conducteurs s’égarent, mais font « un voyage merveilleux à travers les monts de Haute-Loire », jusqu’à un petit village du nom de Paumier. Dans la nuit du 17 au 18, départ à 1h du matin. « Plusieurs sont saouls comme des bourriques […]. Non seulement les hommes sont saouls, mais aussi certains des officiers. Il a fallu en porter un ivre-mort dans un camion ». Coupaye en est scandalisé.
Ce jour-là, on passe à La Chaise-Dieu, « où nous admirons au passage l’église ». Dans le petit village de Chilhac (Haute-Loire) où l’on fait halte le soir, on apprend quelques nouvelles – qui ne sont pas bonnes – par la T.S.F. Départ à 4h du matin le 19. Le brouillard, d’abord épais, se lève. « On traverse des vallées merveilleuses […]. Assis sur le marchepied de l’ambulance […], je peux jouir à peu près correctement du paysage ». On s’arrête un moment à Saint-Flour, où il est question de regrouper les éléments de la IIIème Armée. C’est aussi là que l’on entend parler pour la première fois de la demande d’armistice. Et dans le village tout proche de Vernuéjol (Cantal), « c’est la première nuit entière que nous avons depuis le départ », et on s’octroie un « petit déjeuner bien sympa au bistro du bled ».
Du reste, le lendemain 20, on ne prend la route qu’au début de l’après-midi et la débâcle prend de plus en plus une allure de voyage d’agrément. Si ce n’est que l’on s’offre une belle peur… Peu avant Espalion (Aveyron), un camion-citerne d’essence s’est retourné et bloque la route. De l’essence, quelle aubaine ! On se précipite de toute part pour faire des provisions. Coupaye est en train de retourner à son véhicule avec son bidon plein lorsque le camion explose et prend feu. Une imprudence, sans doute. On éloigne en hâte le transport de munitions qui se trouvait tout près. Finalement, pas de victime.
Le lendemain 21, on passe à Entraygues (Aveyron), « ville très pittoresque ». Puis « nous suivons les gorges du Lot qui sont magnifiques ». Le lendemain, après Rodez, on fait étape dans un « tout petit village aux ruelles pittoresques. L’armistice est plus que probable d’après la T.S.F. ».
Terminus Albi : ennui et dégoût
Effectivement, le dimanche 23, au réveil, on apprend que l’armistice est signé, sans manifester d’émotion particulière. Et on atteint enfin dans la journée le terme de ce voyage de plus de 1.000 km, Albi. Il ne reste qu’à installer le cantonnement aux Avalats, sur les bords du Tarn. Bains, promenades, bons repas. Coupaye l’avait déjà dit : « Ce n’est pas une guerre que nous faisons, c’est un voyage touristique ». Et il se promet de revenir dans cette belle région après la guerre.
Mais très vite il s’ennuie, « Il pleut toute la journée. On ne sait que faire ». Le 5 juillet, l’ACL 283 est dissoute. A force d’attendre la démobilisation, qui ne sera effective que le 20 août, cette vie oisive devient insupportable. Coupaye se trouve un emploi de secrétaire-infirmier au Lycée d’Albi, transformé en hôpital. Du moins, il profite de ce qu’il a une machine à écrire pour commencer une copie « au propre » de son journal.
Certes, il est choqué par le bon accueil que les habitants font aux Allemands : « C’est tout juste si on ne les acclame pas. Quel manque de dignité ! ». Mais ce qu’il aura surtout retenu des événements, c’est l’incapacité des responsables, et d’abord des officiers. Déjà, le 20 juin, il se dit « dégoûté de la France et de toute la pourriture qui tue notre beau pays ». Ce thème de la décadence française reviendra encore souvent dans son journal des années 50.
Pierre COUPAYE (1916-1974), Journal de guerre, 46 pages, d’abord dactylographiées, ensuite manuscrites (APA 1076) – 10 mai-25 juin : p. 2-18.