Robert Williame, en sortant de Saint-Cyr en 1934, avait opté pour l’aviation. À la même époque, il avait rencontré sa future femme : il avait 23 ans, elle en avait 16. Ils se sont mariés, ils ont eu un fils et une fille. Il est apprécié et bien noté, il passe rapidement du grade de lieutenant à celui de capitaine. En septembre 1937, on lui confie le commandement de la plus prestigieuse escadrille de chasse, la I/2 – autrement dit la 1ère escadrille de la 2ème escadre, plus communément appelée la Spa 3 ou, mieux encore, l’escadrille des Cigognes, celle du héros multivictorieux de la guerre précédente, Georges Guynemer.
L’escadrille, ses hommes, ses avions
Une escadrille de chasse, c’est un certain nombre d’avions (pas tous en état de marche tout le temps), un certain nombre de « rampants » qui les préparent et les réparent, et un certain nombre de pilotes, tous officiers ou sous-officiers (une vingtaine, mais pas tous disponibles, eux non plus, à un moment donné). Aussi est-il assez théorique de dire que ce sont quatre patrouilles de trois avions monoplaces, en l’occurrence des Morane-Saulnier 406, un « zinc » qui a ses qualités, la maniabilité notamment, mais qui est surclassé en vitesse et en armement par les adversaires auxquels il est appelé à s’opposer.
Ainsi, sa vitesse maximum est de 450 km/h, contre 550 km/h (ou plus, selon les modèles) pour son adversaire direct, le Messerschmidt 109. Les pilotes de l’escadrille rêvent d’être dotés d’appareils plus rapides et plus puissants, par exemple des Dewoitine 520, qui, de plus, sont « tout métal », comme tous les autres avions en service, alors que les Morane ont encore l’arrière entoilé, et une partie des ailes revêtue de contreplaqué ! Le Morane est armé d’un canon de 20 m/m, alimenté par un chargeur de 60 obus ; et de deux mitrailleuses de 7,5 m/m sur les ailes, pouvant tirer chacune 300 balles. Ce qui signifie, pour le canon, seulement 5 secondes de tir en rafale ; et 15 secondes pour les mitrailleuses. Pour prendre conscience de la difficulté du pilotage d’un chasseur et de la nécessité d’un entraînement intensif, il faut se rappeler que « la pensée est lente en l’air ; le moindre calcul mental, enfantin au sol, demande de gros efforts lorsqu’on a décollé ». Or, « dans l’aviation […], tout se passe à une rapidité folle. Un combat ne dure que quelques secondes, rarement quelques minutes ».
Un drame personnel
La « drôle de guerre » (de septembre 1939 au début de mai 1940), dans l’aviation comme dans les autres armes, c’est décidément « une drôle de guerre ». Basée d’abord à Beauvais, l’escadrille accomplit, certes, de nombreuses missions, mais sans trouver le moindre contact avec l’aviation adverse. Une vie sans histoire ? Sur le plan personnel, pour le jeune capitaine, certainement pas. Impossible, en effet, de ne pas dire un mot d’un drame, sans rapport direct avec la guerre, qui l’affecte profondément et qui à coup sûr demeurera obscurément présent dans son esprit tout au long des mois qui lui restent à vivre.
Le 21 octobre 1939, Robert Williame passe près d’un groupe de camarades qui s’amusent à tirer à la carabine sur une boîte de conserve. Il demande à se joindre à eux, et tire à son tour. Inexplicablement – ricochet ? déréglage de l’arme ? – l’adjudant Chasteigner, qui devait se trouver pourtant à l’écart de la ligne de visée, porte la main à sa tête, s’écroule. Williame se précipite, implore son pardon : « « J’aurais tout de même préféré que ce soit une balle boche, » me dit-il […]. « Mais je n’ai rien à vous pardonner, mon capitaine » […]. Comme j’insistais, il finit par me dire d’un ton bougon : « Si cela peut vous faire plaisir que je vous dise que je vous pardonne, soit » ». Le soir même, le blessé est opéré à Beauvais par une sommité de la chirurgie, mais le lendemain matin, l’adjudant Chasteigner – ou, pour lui rendre son nom complet : Marie-Gérard-Guy, comte de Chasteigner de la Rocheposay – succombe. Ni les paroles apaisantes de la mère de la victime, accourue de son château du Périgord, ni celles des autres camarades de l’escadrille n’y pourront rien. Williame est accablé. Certes, « Je me suis réellement senti environné d’une sympathie qui me fut une aide précieuse ». Tous l’adjurent d’accepter chrétiennement son épreuve. « Cependant, [le] problème de ma responsabilité hantait mes nuits ». Il tombe malade (une angine, croit-il), le 19 novembre, et doit être hospitalisé. « La fièvre ne devait plus me quitter pendant près de trois mois ».
Les mois de la « drôle de guerre »
À son retour du Val-de-Grâce en février, l’escadrille a déménagé pour Xaffévillers (Vosges), dans le secteur de la Ve Armée, c’est-à-dire, en gros, de l’Alsace, ce qui lui procure des occasions de se trouver au contact de l’ennemi, en accompagnant des avions de reconnaissance au-delà du Rhin. Ainsi, Williame remarque un jour, juste sous ses ailes, un groupe de soldats allemands « qui, le nez en l’air, me regardaient. L’occasion était trop belle. Ce fut plus fort que moi : malgré les ordres formels que nous avions de ne pas attaquer les troupes au sol (drôle de guerre), je leur envoyai une bonne giclée ». Hélas ! Ce jour-là, 2 avril 1940, un des avions de son escadrille, qui s’en était pris à un Dornier de reconnaissance, est abattu près d’Erstein (Bas-Rhin), par un des deux mitrailleurs de cet avion dont l’équipage comprend quatre personnes. Le pilote français, Bruckert, un jeune adjudant alsacien plein de fougue, est tué. En allant le lendemain pour les formalités d’état-civil à la mairie d’Erstein, Williame apprend par les témoins qu’avant de tomber, Bruckert avait bel et bien abattu son adversaire, qui était allé s’écraser derrière une rangée de peupliers, dans un épais nuage de fumée. Deuil et gloire, la première victoire de l’Escadrille, et son premier mort au combat.
Le 7 avril, en protection d’une mission de reconnaissance au-dessus de la Sarre, une des patrouilles de l’escadrille rencontre un groupe de Messerschmidt. Un des Morane est touché, et le pilote, ayant vainement tenté de se jeter en parachute, est tué. Mais Hyvernaud descend son adversaire. Le lendemain, comme cela arrive quand l’Allemand est abattu sur le territoire tenu par les forces françaises, « Hyvernaud alla voir sa victime, un jeune lieutenant. Il avait sauté en parachute au dernier moment et était prisonnier ». Tout d’abord, celui-ci se montre muet et revêche. Mais « quand il sut qu’Hyvernaud était le pilote qui l’avait descendu, il changea du tout au tout et discuta du combat avec plaisir, analysant la faute qu’il avait commise ». Dans l’aviation de chasse, arme d’esprit aristocratique, où on se mesure souvent en combat singulier, il arrive qu’il y ait ainsi une sorte de fraternité d’armes entre les aviateurs des deux camps, et même de fair-play. À quelque temps de là, les membres de l’équipage d’un Heinkel abattu par des Morane de l’escadrille « rendirent hommage à l’esprit chevaleresque de leurs adversaires qui avaient cessé le feu lorsqu’ils avaient sorti leur train d’atterrissage », signe qu’ils renonçaient au combat et allaient se poser là où ils se trouvaient. Ils en auraient peut-être fait autant si les rôles avaient été inversés. Et dire que ce sont ces mêmes aviateurs, ou leurs pareils, qui ont consciencieusement mitraillés les foules de civils sur les routes de l’exode !
En mai, les terrains pris pour cibles par les bombardements allemands
Le 10 mai, le capitaine Williame est en permission à Paris. C’est par les sirènes d’alerte qu’il apprend que le cours des choses a changé. Il arrive le lendemain à Ochey (Meurthe-et-Moselle), où l’escadrille vient de s’installer, dans le secteur de la IVe Armée cette fois (en gros, la Lorraine), moins étendu que celui de la Ve. Le 10 et le 11, les missions s’étaient succédé. « Je les trouvais tous mal rasés et l’air fatigué, mais dans les yeux il y avait de la flamme. C’était fini d’attendre pour rien. » Presque tous les pilotes avaient eu à livrer combat, y compris les trois nouveaux, la « troïka » des Polonais intégrés depuis peu dans l’escadrille avec tout leur personnel technique, des aviateurs aguerris et animés d’une volonté de revanche, après la capitulation de leur malheureuse patrie. Mais, aussitôt arrivé, le capitaine apprend aussi qu’un de ses avions a été abattu, et le pilote, son ami Hyvernaud, tué, alors qu’il venait de décoller pour assurer une couverture du terrain contre une attaque de bombardiers. Williame, qui lui avait promis qu’en pareil cas il se chargerait de prévenir son épouse, remplit cet engagement, la mort dans l’âme.
Le 12 mai, le terrain subit à nouveau une attaque de bombardiers. « Le message de guet signalant cette expédition ennemie était arrivé au PC du groupe à peu près en même temps qu’elle ! » Chacun des aviateurs présents n’a que le temps de se précipiter dans un fossé ou dans le pré voisin, probablement en franchissant sans beaucoup de précautions une clôture de fil barbelé à laquelle s’accrochent leurs vêtements, ce qui permet au narrateur de commenter avec un brin d’humour le bilan de ce raid. « Ce bombardement détruisit un avion, la baraque des mécaniciens et cinq pantalons ». Mais par bonheur personne n’est touché et les deux pistes sont intactes.
« Lorsque furent passés les trois premiers jours de l’offensive allemande, le centre de gravité de l’effort ennemi s’éloigna […] vers l’ouest et nous entrâmes dans une période de calme relatif ». L’escadrille déménage pour Damblain (Vosges), une soixantaine de kilomètres plus au sud. « Pendant toute cette période, notre impression générale est d’avoir été mal utilisés ». Ce que Williame aurait souhaité, c’est que l’on réalise des « concentrations de chasse » pour faire face avec plus d’efficacité aux attaques aériennes allemandes et notamment aux bombardements des villes. Le problème de la dispersion des moyens en 1940 est au fond le même avec les avions qu’avec les blindés.
Premiers combats contre les Messerschmidt
Le 20 mai, l’escadrille est déplacée temporairement assez loin à l’ouest, et assure deux missions de protection à partir du terrain de Cézanne. En fin d’après-midi, ils ont affaire à une trentaine de Messerschmidt. Williame attaque le chef de patrouille adverse, « mais c’était mon premier combat avec les chasseurs allemands, et malgré moi, j’étais extrêmement nerveux […]. Je me souvins alors à temps d’un des petits trucs de Guynemer en semblable occasion et, bien qu’en parfaite position pour tirer mon adversaire, je rompis volontairement le combat […]. L’effet fut radical. Ce fut absolument maître de moi que je repris le combat ». Mais à ce moment, les deux adversaires entrent dans une couche de nuages. En en ressortant, « je me trouvai environné de feux de toutes parts. Un crépitement caractéristique de balles sur les tôles de mon avion frappa mes oreilles ». Son adversaire n’est plus en effet devant lui, mais derrière, et bien placé pour l’attaquer. Williame réussit tout de même à ramener à Damblain son avion, qui « avait reçu […] cinq obus et sept balles explosives » et qui était bon pour la ferraille. D’autres avions de l’escadrille ont été également touchés, mais l’un d’eux a abattu son Messerschmidt. Les avions ennemis ont rompu le contact. Le bilan n’est pas si mauvais, puisque les Morane ont chassé leurs adversaires de la zone qu’ils étaient chargés de défendre.
Le 27 mai, le terrain est attaqué par huit Messerschmidt. Cette fois encore l’alerte est parvenue trop tard pour permettre aux Morane de décoller en protection de la base : pas de blessé, mais huit avions sont détruits.
Premiers jours de juin : combats contre les bombardiers Heinkel et les Junker 88
Dès le 1er juin, l’offensive aérienne allemande vers le sud s’intensifie : il s’agit pour les adversaires d’aller attaquer des bases militaires (par exemple celle d’Ambérieu), en se glissant le long de la frontière suisse. Ce jour-là l’escadrille a affaire à des Heinkel 111, des bimoteurs qui comptent trois mitrailleurs de tourelles dans leur équipage de cinq personnes. « Dès que les bombardiers nous eurent aperçus, ils serrèrent leurs rangs […] : une véritable forteresse de trente gros avions. » Les chasseurs français ne parviennent pas à les inquiéter. D’autre part, Williame, n’ayant plus assez d’essence, doit se poser à Lons-le-Saulnier, mais non sans avoir transmis tous les renseignements nécessaires à une formation de la chasse française, qui réussit à rejoindre cette escadre de Heinkel et à en abattre trois.
Le 2 juin, nouveau combat contre les Heinkel. Malgré une longue poursuite, de Pontarlier à Montbéliard, les Allemands parviennent à s’échapper : « Nous voyions nos balles et nos obus les atteindre […]. Des morceaux de tôle se détachaient… Pas un avion ne tomba ! Et nous n’avions plus de munitions. » De plus, un des pilotes français doit sauter en parachute de son appareil en flammes. La chance ne sourit pas non plus à l’escadrille le lendemain. Le commandement s’étonne du peu d’efficacité des Cigognes. Williame est vexé et se promet de prendre sa revanche en modifiant sa tactique.
Le 5 juin, Williame intercepte avec une patrouille triple une formation de quinze Junker 88, des chasseurs-bombardiers bimoteurs servis par un équipage de quatre hommes, qui, dit-il « allaient bombarder Tours » (qu’est-ce qui lui permet de le préciser ? on ne le sait pas). Une patrouille, celle du capitaine, mène l’attaque, suivie par les deux autres : aussitôt, « un des bombardiers piquait en faisant des mouvements désordonnés ». Et d’un ! Williame se dégage « en cabrant […]. Je retombai à la verticale sur un des Junker, [puis] je fis trois passes sur un des moteurs du même appareil […]. À la troisième le moteur prit feu et le bombardier commença à perdre de l’altitude en quittant le peloton ». Deux victoires qui seront homologuées, dont une personnelle. Mais Williame est contraint par une fuite d’huile de se poser « aux vaches », au sens propre de cette expression familière aux aviateurs, puisqu’il est accueilli joyeusement dans une ferme. Par téléphone, il apprend qu’à la fin du combat, de leurs quinze adversaires, il n’en restait plus que neuf. Il y a de quoi être satisfait.
Combats contre les Messerschmidt et contre les Junker « Stuka » : le jour de gloire de Williame
Mais le véritable jour de gloire pour Williame est le 8 juin. Ce jour-là, « pour la première fois en ce qui nous concerne, le commandement se servit de nous pour réaliser une véritable concentration de chasse ». La première mission, au départ de Coulommiers, est de rechercher, de 16 heures à 16 h 30, toute présence ennemie dans le secteur de Beauvais et de Gisors. Ces deux villes brûlent. En revenant, du côté de Soissons, Williame avise une vingtaine de Messerschmidt en mission de bombardement. Il a le soleil dans le dos, situation éminemment favorable, et il est aidé par ses deux camarades. Il attaque trois adversaires : l’avion du chef de patrouille allemand et celui de son équipier prennent feu, le troisième pilote hésite, ce qui ne lui laisse aucune chance. Williame vient d’abattre trois appareils ennemis en 15 secondes.
La patrouille se pose à nouveau à Coulommiers, reçoit l’ordre de faire le plein de carburant et de munitions. La seconde mission, de 19 h 45 à 20 h 15, est identique à la première, dans le secteur Soissons-Attichy, sous la protection d’une patrouille triple de Dewoitine. Cette fois, ce sont des Junker 87 « Stukas » qui se présentent, ces chasseurs-bombardiers en piqué qui, avec leurs sirènes hurlantes, leurs bombes et leurs mitrailleuses ont semé la terreur sur toutes les routes de l’exode. C’est l’un d’eux qui ouvre le feu le premier, en se cabrant. « Je fis alors un renversement, l’attaquai à la verticale par-dessus, lui tirai une courte giclée. Il partit en piqué […] en laissant échapper de la fumée », et alla s’abattre sur la forêt de Villers-Cotterets, dans le feu d’artifice de l’explosion de ses bombes. Un second Stuka subit le même sort que le premier, percutant lui aussi le sol en lisière de la forêt. En voici un troisième. « De la vallée de l’Ourcq à Soissons, je l’attaquai sans répit. Le mitrailleur cessa bientôt de répondre. Le pilote largua ses bombes dans un champ pour être plus maniable […]. Je voyais mes balles incendiaires arriver dans l’avion […]. Il se mit à perdre des morceaux de tôle, quelques-uns très gros. À la fin, il se disloquait littéralement en l’air ».
Retour à Damblain, où deux autres pilotes de l’escadrille fêtent les trois Stukas qu’ils ont abattus à eux deux. Mais un des avions de l’escadrille a fait un atterrissage forcé en territoire hostile, et d’un autre, qui ne rentre pas à la base, on n’aura plus aucune nouvelle. Bilan de la journée pour le capitaine Williame : six victoires, dont quatre exclusivement personnelles. Donc huit, en tout, en comptant les deux victoires du 5 juin. On le crédite généralement d’une autre, qui daterait du 7 mars précédent, mais dont Williame ne parle pas dans son récit. Il restera dans les annales comme l’As aux neuf victoires.
« Il me fut impossible de fermer l’œil, cette nuit-là. » L’excès d’émotion ? Non, un torticolis : le combat aérien a ses petits inconvénients, il exige de faire face constamment dans toutes les directions. « C’est là un détail ridicule : j’étais du reste un peu vexé ». Le 10 juin, il écrit à sa femme : « Je suis aux anges. J’ai actuellement le record de France de tous les temps : six boches en 3 h 30. Nos manœuvres ont été splendides : pas une balle dans nos zincs. »
Les inexorables replis jusque dans le sud languedocien
Ensuite commença l’époque des « replis successifs ». Le 13 juin, l’escadrille déménage pour Dijon (Côte-d’Or), d’où ils font quelques missions de reconnaissance le 15 et le 16, survolant du côté de Gray (Haute-Saône) des files de véhicules allemands. « Sur les routes allant vers le sud, c’était le vide sur vingt kilomètres environ. Alors commençait le sinistre exode des bicyclettes, des camions, des voitures de tourisme et même des piétons […]. Je pleurais dans mon zinc. » Le 16, ils gagnent Saint-Symphorien (Rhône), près de Lyon. Ce jour-là, « tout le long de la Saône, des pêcheurs nous faisaient bonjour de la main. C’était dimanche ! ».
Le 17, « à midi, nous étions à table lorsque, à la radio, le maréchal Pétain annonça qu’il avait demandé l’armistice. La stupeur éteignit d’un coup toutes les conversations […]. Des yeux s’embuèrent. Quelqu’un cria : « Ce n’est pas possible ! C’est un poste boche » ». Hélas ! Si, c’était possible, et c’était bien un poste français.
Le soir même, l’escadrille va atterrir à Montpellier. « Les alertes reprirent. Quelques patrouilles furent même mises en l’air lorsque Marseille fut bombardé. Il y avait peu de risques de rencontre, car, malgré nos demandes réitérées, on s’entêtait à nous placer à l’ouest du Rhône quand les Italiens s’entêtaient à rester à l’est ! […] Le soir, dans les cafés sur l’ « œuf », la ville rigolait plus que jamais. C’était écœurant.». On déplace encore une fois le groupe dont fait partie l’escadrille à Nîmes, d’où, les 22 et 23 juin, « on nous confia deux missions dont l’inutilité était flagrante ». Missions inutiles, mais dangereuses, à cause de l’éloignement, du relief, et de la météo. Le commandement semble ne pas en être conscient. La première fois, il s’agissait d’aller attaquer des blindés allemands du côté de Chambéry. « À Montélimar, le temps était tellement exécrable que nous fîmes demi-tour ». La seconde, « nous pûmes arriver aux carrefours de routes que l’on nous avait donné l’ordre d’attaquer près de Grenoble. Ils étaient vides ! ».
Triste fin de partie perdue
La troïka part pour le Portugal, d’où les Polonais espèrent pouvoir continuer la lutte en Grande-Bretagne. Les Français sont divisés. Certains rêvent de gagner l’Angleterre, mais cette position est très minoritaire. « Une ou deux fois par jour, nous recevions l’ordre, presque immédiatement annulé, de franchir la Méditerranée avec nos Morane ». En fait, techniquement, c’est au-dessus des possibilités des appareils, dont l’autonomie est limitée, et c’est fortement risqué.
Finalement, Robert Williame choisit de rester dans « l’armée d’armistice », dans l’espoir d’une reprise de la lutte, un jour ou l’autre. Il reçoit le commandement de la 6ème escadrille du groupe de chasse III/9, doté de Bloch 152. C’est aux commandes d’un de ces appareils qu’il se tue, au cours d’un exercice, quelques jours après le premier anniversaire de la mort de Chastegnier, à Salon-de-Provence, le 31 octobre 1940.
Capitaine WILLIAME (1911-1940), L’Escadrille des Cigognes, Spa 3, 1939-1940, 281 p. éd. Arthaud, 1945. Mai-juin 1940, p. 193-266. Le livre, inachevé, de Robert Williame, a nécessairement été rédigé au cours de l’été 1940, plus précisément entre juillet et octobre. Il n’est publié pourtant qu’en 1945, avec une présentation de Roland Dorgelès et un avant-propos de l’oncle de Williame, le médecin-colonel Gabriel Delater, auteur, par ailleurs, d’un témoignage sur la campagne de Belgique et de France, Avec la 3ème DLM.
C’était mon père, merci de vous en souvenir encore, j’avais 18 mois.