On sait très peu de choses sur Maurice Pouly. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il n’est pas soldat de métier, car « le 1er septembre 1939 […], la mobilisation m’arrache en plein cœur de la Gascogne où je me trouvais à ce moment » ; et nous savons aussi qu’il est Bourguignon, car il rejoint alors en hâte son centre mobilisateur, à Beaune (Côte d’Or). Il est sous-officier dans la cavalerie (il ne précise pas son grade, sans doute maréchal-des-logis, puisqu’il dirige un groupe de combat et non un peloton).
Lorsque se produit l’attaque allemande du 10 mai, le 61ème Groupe de Reconnaissance Divisionnaire dont il fait partie cantonne à Hussigny (Meurthe-et-Moselle), à proximité de la frontière luxembourgeoise. Il comporte plusieurs escadrons dont l’un au moins est équipé d’automitrailleuses, mais celui de Pouly semble être doté uniquement de motos et de Simca. L’armée apprécie les Simca 5 à deux places, ou les Simca 8 à quatre places, ces véhicules légers qui sont à l’époque en France la voiture de Monsieur Tout-le-Monde, à l’image de la Fiat 500 lancée en Italie par le régime fasciste. Elles jouent en 1940 un peu le rôle qui sera bientôt celui des jeeps, à cette différence près qu’elles ne sont pas vraiment faites pour le tout-terrain. Notons enfin que le G.R.D est à ce moment rattaché à une brigade de spahis montés.
L’offensive française dans le Luxembourg
Le 10 mai, donc, à 8 h du matin, Pouly et ses camarades pénètrent dans le Grand-Duché, à la rencontre de l’armée allemande qui en a violé la neutralité au cours de la nuit. Les spahis montent la côte au galop. Les Simca peinent. Dans la première localité luxembourgeoise rencontrée, « à Oberkorne, nous recevons l’accueil enthousiaste d’un peuple en délire […]. On nous jette des fleurs. » Les Français avancent jusqu’à Soleuvre, à 10 km de leur point de départ, sur une hauteur où ils subissent les premiers tirs des Allemands qui se déploient dans la plaine. Les fusils mitrailleurs français répliquent. « Nous n’avons pas besoin de viser pour tirer, la poussière que font les balles en touchant la terre sèche guide notre ligne de tir […]. Le champ de bataille est très encombré ». Quelques Allemands sont tués ou blessés. D’autres se rendent. Mais bientôt, des renforts leur parviennent, « ils sortent en très grand nombre des bois, il y en a de tous les côtés ». Certes, ils sont repoussés, mais on ne se sent pas en sécurité : la nuit venue, on bivouaque sur place dans une situation d’autant plus précaire qu’on entend l’arrivée de nombreux blindés du côté ennemi. D’ailleurs, le commandement tire les conséquences de la disproportion des forces : dans la nuit, les Français reçoivent l’ordre de se replier.
Le 11 mai, les voici donc à Oberkorne, mais ils ont beau avoir miné la route, ils sont submergés en fin de matinée par l’infanterie ennemie. Ils se replient alors à Differdange. Là les combats de rue font rage. Ils se replient encore et s’installent sur le plateau où ils creusent des tranchées.
Les combats dans les rues et les usines de Longwy
Le 12, le jour n’est pas encore levé qu’il faut se résigner à repasser la frontière, « par des chemins de terre caillouteux et accidentés », puis à retraverser le village d’où ils sont partis, Hussigny, marqué par les traces des bombardements. Enfin, ils peuvent prendre « un peu de repos dans les bois, (et boire] un café chaud ». Ensuite, ils vont prendre position près de Longwy (Meurthe-et-Moselle), plus précisément à Herserange, où, après avoir garé leurs véhicules à côté du crassier d’une aciérie déserte, Pouly et ses hommes mettent en batterie leurs fusils mitrailleurs sur le balcon d’une école, sous les tirs d’artillerie allemands. Il reçoit lui-même un éclat qui cabosse son casque et le laisse « abasourdi pendant quelques minutes ». Ils s’organisent pour dormir à tour de rôle. En effet, « la plupart d’entre nous n’ont pas pris de repos depuis que nous sommes rentrés dans le Luxembourg. Au milieu de la nuit, le tir allemand reprend, c’est un vacarme indescriptible, à l’école tout tremble. »
Le 13 mai, toujours sous le bombardement, Pouly va couper le grillage qui gênerait un repli de plus en plus inéluctable : les Allemands s’infiltrent partout, ils « sont à peu près tous munis de mitraillettes et nous font beaucoup de mal ». Le groupe de Pouly est appelé en renfort au « Bois du chat » (c’est le nom qu’il a retenu : en fait, le Bois de Châ). Sur cette crête, le feu ennemi est intense : il y a des blessés et des morts, le capitaine Thénard, commandant l’escadron moto, est tué. Le repli s’impose, mais les véhicules sont restés au crassier. Les hommes de Pouly sont pris en charge par les camionnettes d’une autre unité. « La route est bombardée, des branches d’arbres jonchent déjà le sol, il faut passer coûte que coûte : tête baissée et à plein gaz, nous passons sous la mitraille. » Enfin, ils parviennent à récupérer leurs véhicules, et décrochent sur Haucourt (5 km au S-E de Longwy).
Protection des décrochages successifs, en zigzags à travers la Lorraine
« 14 mai. – Derrière la ligne Maginot, nous sommes à l’abri ». Ils gagnent Joppécourt, 18 km plus au sud. Au passage, à Morfontaine, ils enterrent leurs morts.
Encore une quinzaine de kilomètres plus au sud, les voici dans la Meuse, et là, près d’Ollières, dans un bois, ils peuvent prendre quelques jours de repos, se donner l’illusion de faire du camping – « nous nous réveillons en toute quiétude au chant des oiseaux » –, avant d’entamer une longue marche en zigzag de 180 km pendant un mois, avec les Simca, pour protéger le repli des unités d’infanterie.
Pouly n’a gardé des journées suivantes que le nom des villages traversés et quelques images saillantes. Partout, « nous rencontrons, interminables et lamentables, des convois de réfugiés qui quittent leur village […]. Partout aussi ce sont des cadavres de chevaux crevés depuis plusieurs jours et qui, gonflés, dégagent des odeurs nauséabondes ». À Étain, « une colonne ennemie arrive en criant en excellent français : « Rendez-vous ! ». À Ville-en-Woëvre, « n’ayant pas le temps d’enterrer un civil, nous le plaçons dans l’église ». Aux Éparges, haut-lieu de la guerre précédente, « sous un drap étendu le long de la route […], se trouvait une petite fille affreusement mutilée par l’aviation boche, auprès [de] sa mère également défigurée ». À Beaumont, « G*, mon brigadier, avec son fusil-mitrailleur, flanque en l’air un motocycliste boche ». Désormais, ils sont à nouveau en Meurthe-et-Moselle. Ils passent à Toul encombré par « un enchevêtrement incroyable de toutes les armées qui se replient ». Inévitablement, ici et là, des camarades tombent, et l’avance ennemie est si rapide qu’on ne parvient pas à récupérer leurs corps. À Favières, « exténué, je passe une partie de la nuit couché entre deux tombes dans un cimetière désaffecté ». « De tout cela, le plus pénible […], ce fut de rester douze jours sans sommeil, combattant pour ainsi dire continuellement ».
La capture
Enfin, le 17 juin, au « bois de Goviller, nous sommes encerclés […]. C’est la fin. Nous sommes pris sous un violent bombardement […]. Plusieurs blessés. Moment de terreur. » Le mot d’ordre est de tenir jusqu’à la dernière cartouche. Mais « faut-il se laisser massacrer ? alors que nous pouvons servir encore plus tard ». La seule chose à faire est d’entrer en pourparlers avec le commandement ennemi. La 58e Division et le 61e GRD sont désarmés, mais le GRD garde provisoirement ses véhicules. Ils passent à Vézelise « sous un orage et une pluie diluvienne ». Ils avancent au pas, en suivant l’allure des prisonniers à pied, pour se rendre à la caserne Molitor de Nancy, où ils restent trois jours, presque sans nourriture. Puis ils sont conduits au Frontstalag 161, à Laxou Champ-le-bœuf, entassés à 11.000 dans des baraquements et des tentes, bénéficiant d’une dizaine de cuisines roulantes, mais d’un seul point d’eau. Au bout d’un certain temps, un millier d’entre eux sont emmenés au parc de Brabois, près de l’hippodrome, à Villers-lès-Nancy. « En traversant les rues de Nancy, les gens se mettent en quatre pour nous donner pain, chocolat, enfin tout ce qu’ils peuvent et parfois sont brutalement repoussés par les sentinelles. » Et enfin, c’est le voyage, en wagons à bestiaux, de deux jours et deux nuits, jusqu’au Stalag VIII A de Görlitz en Silésie.
Maurice POULY ( ?- ?), Mon carnet de guerre, autoédité, Imp. Réunies de Lyon, 1948, 60 p., mai-juin 1940, pp 5-12. — Cet opuscule a fait l’objet d’un dépôt légal (DL 2630). – Pouly a le patriotisme chevillé au corps. Il n’aura donc de cesse de s’évader pour reprendre le combat. Il perd son journal – ce qui explique les lacunes de celui-ci –, au cours d’une de ses tentatives. Finalement, c’est dans un wagon de porcelaines, enfermé et immobile pendant trois jours, qu’il parvient en janvier 1943 à gagner la Suisse, puis à rentrer en France, où, en 1944, il s’engage dans la Légion, participant à la bataille des Vosges, à la libération de l’Alsace, et même aux tout derniers combats contre les fascistes italiens dans les Alpes. Le récit de ses évasions et des combats de la fin de la guerre sont la partie la plus passionnante d’un petit livre dont Juin 40 n’est que le prologue et qui mériterait d’être mieux connu.