Il se présente comme « un artisan modeste » de la région de Bordeaux. Sans doute a-t-il fait partie de l’armée de métier, parce qu’il porte des « décorations coloniales » indiquant qu’il a servi en Afrique. En tout cas, il a fait ensuite des « périodes » et il a atteint le grade d’adjudant (ou adjudant-chef). Du reste, au printemps 1940, il se rend à Amiens pour faire un stage en vue de devenir officier. À part ça, il est viscéralement anglophobe et violemment hostile à la « maffia judéo-maçonnique ». Voilà pour le situer un tant soit peu.
Il a été mobilisé dans le Train automobile, plus précisément à la 824e Compagnie, sous les ordres du Capitaine Jean Pinaud auquel ses hommes ont donné (comme à Gaudy !) le surnom affectueux de « Papa ». Il s’agit pour eux d’assurer, avec des camions de réquisition (donc hétéroclites), le transport des hommes et du matériel des unités dépourvues de véhicules. Conducteurs et mécaniciens appartiennent aux classes anciennes. Mais le handicap de l’âge est compensé par le fait que « le moral des cadres et de la troupe est remarquable ».
Des missions de transport risquées
« 10 mai 1940 […]. Nous apprenons que la bagarre est déclenchée à la frontière ». Sourbier vient de prendre le commandement d’une section, c’est sa première affectation de cette importance. Il quitte le cantonnement de Berny-Rivière (Aisne), le 13, pour prendre en charge vers Arcis-sur-Aube (Aube) des éléments d’infanterie et les emmener du côté de Rethel (Ardennes), en arrière du front de Sedan. Mais au cours d’un arrêt, la colonne de 300 camions est attaquée par des bombardiers qui en détruisent une partie. À proximité, un aérodrome anglais est lui aussi bombardé, et Sourbier ne comprend pas pourquoi les avions anglais ne décollent pas pour contre-attaquer. Quelques kilomètres plus loin, « les fantassins débarquent hâtivement, au loin rougeoie Sedan en flammes ; dans les prés voisins les réfugiés campent ».
Très vite, on voit « les artilleurs de la IXe Armée qui reculent en désordre […] ; les pauvres petits ont tenu le coup durant des heures, l’aviation allemande les a cloués sur leurs pièces, les rescapés ont fui, les positions étaient intenables ; certains pleurent ». Les camions repartent vers Reims, sur des routes encombrées à la fois par les troupes en retraite et par les civils. Sourbier perd le contact avec son unité. On ne le renseigne qu’à Sézanne. Enfin, il rejoint le reste de la compagnie à Berny, « à midi, le 15 mai, après plus de 600 kilomètres et deux jours et demi de route sans repos ».
Sous le feu ennemi
Le 16 mai, nouvelle mission : il doit aller chercher à Juxey (Haute-Saône), en roulant jour et nuit, un groupe d’artillerie qu’il dépose, à l’aube du 20, à l’orée de la forêt de Compiègne. Comme il se trouve à un kilomètre de Berneuil-sur-Aisne où il a été cantonné pendant l’hiver, il se permet, quitte à essuyer une algarade de son capitaine, d’y faire un saut. Le pays a été bombardé. « Les habitants ont suivi l’exode général, tout est désert ». Pas de repos encore : il faut aller un peu plus au nord-est, à Tergnier (Aisne), pour prendre en charge des fantassins qui doivent se replier. Mais arrivés au pont sur le canal à l’entrée de cette localité, les hommes de Sourbier sont arrêtés par le feu de l’aviation allemande. « Nos mitrailleurs ripostent à l’aide de vieilles pétoires datant de la grande guerre, mais ne réussissent pas à éloigner les appareils ». Une torpille explose à deux mètres du capitaine, qui s’en tire à bon compte, recouvert d’immondices… Des éclats de verre blessent Sourbier à la main gauche. Au moment où le convoi, ayant enfin passé le pont et embarqué son chargement, se met en route pour Noyon, « à 1.500 mètres apparaissent les autos-mitrailleuses allemandes. Nous avons eu chaud ».
Au repos dans la forêt de Hèze, près de Clermont d’Oise, les hommes s’attendent à être félicités, mais c’est une « engueulade » qu’ils subissent, pour des vétilles, de la part d’un « capitaine d’active qui ne nous a jamais accompagnés dans les missions dangereuses […]. Dignement, « Papa » tourne le dos à l’imbécile ». Ce dernier a l’heureuse inspiration, pensant leur place repérée, d’en éloigner sa compagnie : six heures plus tard, « l’emplacement quitté est absolument rasé par les torpilles ». Le 26 mai, nouveau transport de troupes dans la région de Saint-Germain-en-Laye. Le 28, en début d’après-midi, revenu sous le couvert de la forêt, au moment de boire son verre de Cointreau après avoir allumé sa pipe, Sourbier est surpris par une grosse torpille qui explose à 20 mètres. Il s’y attendait si peu qu’il a un moment de panique.
Un antisémitisme sans complexe
Le 29, arrive l’ordre de repli. « Le cauchemar est fini, tout le monde est joyeux ». Presles-en-Brie (Seine-et-Marne), près de Melun, est une « charmante bourgade […]. Quel calme après la tourmente ! Avons-nous bien vécu ces jours de fièvre, de sang et d’horreur ? ». Mais il s’agit maintenant pour la compagnie de « survivre à cet appétit de dissolution et de réorganisation constante » dont témoignent les ordres incohérents du haut-commandement. Le moral des hommes risque de s’en ressentir. « Papa » entraîne Sourbier à l’église pour prier afin que leur petit groupe bien soudé ne soit pas dispersé. Ce dernier y ajoute sa propre intention de prière à la Sainte Vierge : « Intercédez auprès de Dieu pour que nous réussissions à nous débarrasser de cette gangrène immonde : le Juif ».
La nouvelle mission est « d’encadrer un convoi de cent autobus parisiens chargés de réfugiés ». Successivement les préfets de la Nièvre, puis de la Creuse refusent de les héberger. On apprend que le maréchal Pétain a pris contact avec les Allemands. Sourbier est persuadé que « la demande d’armistice sera repoussée et la France annexée purement et simplement ». En Corrèze, les passagers peuvent enfin être débarqués et logés à Neuvic et dans les environs, cependant que ce qui reste de la 824e Cie est affecté au ravitaillement de la population civile de Bordeaux. Cette tâche « n’est pas reluisante, [mais] extrêmement utile », et le Capitaine Pinaud « aura la satisfaction d’avoir ramené les débris de son unité en ordre ». Le 29 juin, ils sont démobilisés à l’endroit même où ils avaient été rassemblés en septembre de l’année précédente.
Quelle leçon Sourbier aura-t-il retenue des événements ? Tout lui aura été bon pour le renforcer dans ses convictions. Le pays s’est laissé entraîner dans la guerre par les Anglais, avec la complicité des « Judéo-maçonniques ». Un de ses collègues sous-officiers lui est-il antipathique ? Il a « cette attitude de servilité qui caractérise sa race » et il parle d’une « voix de castré ». Le « combat » qu’il se promet de poursuivre, c’est celui de la Révolution nationale. Hitler fait montre de « beaucoup de compréhension » envers les vaincus. À Montoire, en considération du « glorieux passé » du Maréchal, il « lui tend la main, pardonnant ainsi à la France » (Sic).
Qu’ajouter à ce trait final ? Seulement le regret de ne pas savoir ce qu’il est advenu de Monsieur Sourbier au cours des années qui ont suivi.
Henri SOURBIER (?-?), Le combat d’un Français moyen, R. Debresse éd., 1941, 205 p. Mai-juin 40 : p. 137-186. Noter la date de parution.