« 1940 fut une année terrible pour ma famille. Elle le fut bien sûr pour tous les Français. Mais pour nous un drame familial s’ajoute au drame national.
« Mes parents, Jules et Juliette (oui, oui !) se sont mariés en août 1934. Je suis née en juillet 1935. Instituteurs, après deux ans dans la région de Montbard, ils furent nommés dans le Morvan. A Brazey en Morvan exactement (Côte d’Or), près de Liernais, entre Saulieu et Autun. Ils s’y sentaient je crois, fort bien, les habitants étaient généreux et amicaux. J’ai gardé de cette période un souvenir heureux […] »
« J’ai compris plus tard, par des confidences de proches, que Maman aurait aimé avoir d’autres enfants mais que ses prières n’étaient pas exaucées… Enfin […], en janvier 1940 une petite fille naît, on l’appelle Françoise. La France et l’Allemagne sont en guerre, mais les opérations militaires restent lointaines. Mon père réformé pour raisons de santé n’est pas mobilisé. En dépit de la situation menaçante, je suppose que maman est heureuse avec sa petite fille tant désirée. Malheureusement ce bonheur sera court.
La mort de la petite sœur
« Le bébé prend froid, une bronchopneumonie se déclare. A cette époque les antibiotiques n’existaient pas, les médicaments utilisés sont impuissants. J’ai presque cinq ans. Premiers souvenirs, quelques images. Je vois le petit lit, une bouteille d’oxygène, à côté du grand lit de mes parents. Puis une après-midi de juin des amis m’emmènent dans les bois cueillir des fraises sauvages. Je saurai plus tard que cette promenade avait lieu pendant l’enterrement et devait m’en tenir éloignée. Françoise est morte le 7 juin.
« D’autres images, je vois des amies interpellant mes parents dans la rue ; « Les Allemands sont à la gare de Liernais, ils tirent à la mitraillette, ils zigouillent tout le monde ». Je ne suis plus sûre des phrases exactes, mais du verbe « zigouiller », oui ! Il m’avait particulièrement frappée. Mon père, toujours calme, ne réagit pas. Mais ma mère s’affole. Les voisines continuent. Mme H. surtout. « Ah si moi j’avais une voiture, je n’hésiterais pas ! » J’ai oublié la suite, mais je nous vois maintenant sur la route vers le sud. Papa, Maman, ma jeune tante Geneviève qui vivait avec nous, et moi. Il est sûr que si le bébé avait été encore là, nous ne serions pas partis. Depuis, j’ai lu des récits sur l’exode […], j’ai vu des documentaires, des films de fiction. Il est difficile de faire le tri dans toutes ces images que j’ai dans la tête : des files de voitures, des embouteillages, des gens arrêtés au bord des routes, des soldats qui conseillent de rentrer, d’autres à pied. Nous sommes des privilégiés en voiture, mais j’entends parler de problème d’essence.
Tardif et court exode
« Le soir nous arrivons à Autun (Saône et Loire), 28 km de Brazey. Je vois une immense salle, des lits alignés, des couvertures rêches. Mon père va voir ce qui se passe en ville. Je sais qu’il a eu des ennuis. On (?) l’arrête, le fouille parce qu’on pense qu’il peut cacher des armes dans les longues poches de sa blouse. La fameuse blouse grise des instituteurs de l’époque. C’est dire qu’il avait dû partir précipitamment ! Episode suivant : nous arrivons dans une agglomération et nous nous y arrêtons. Dans la famille on disait Charolles. J’ai su ensuite qu’il s’agissait plus exactement de La Clayette (Saône et Loire), 20 km plus au sud. C’est là que se termine notre exode. Nous sommes accueillis dans une famille fort sympathique qui nous loge. Je me rappelle un jardin, une promenade dans les alentours.
« Combien de temps sommes-nous restés ? Comment avons-nous trouvé l’essence qui manquait ? Je suis incapable de le dire Nous avons repris le chemin du retour. Quelques kilomètres avant Brazey nous nous sommes arrêtés à Villiers chez des amies. Les faits peuvent manquer d’intérêt mais ils en ont pour moi. Ce sont les rares souvenirs qui me restent. Comment dater ? Peut-être le 14. Et l’enterrement de la petite fille devait être le 9. Les Allemands étaient à Chalon le 15 juin, l’armistice a été signé le 22 juin. Je me rappelle le soulagement de tous à l’annonce de la signature de l’armistice.
« Quand nous arrivons à la maison, surprise ! La famille du frère de mon père, André, instituteur près de Dijon, y est installée. Comment étaient-ils entrés ? Par la porte tout simplement, que dans la précipitation du départ mes parents avaient oublié de fermer à clé ! Leur exode : Dijon-Brazey. Le nôtre : Brazey-La Clayette, un peu plus de 100 km au sud.
« Ensuite, [ce furent] les longues années de la guerre […] ».
Monique FLEITH-MAUGRAS (née en 1935), JUIN 40 : Monique se souvient. Collection personnelle. Document communiqué par l’auteur.