Au printemps 1940, le jeune Lucien faisait ses débuts dans l’industrie alimentaire, plus précisément dans une laiterie de Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne).
« Le lundi 10 juin, alors que la veille, nous avions eu un beau ciel bleu, nous avons ouvert les volets sur un ciel « plombé » accompagné d’une forte odeur de brûlé et d’une sorte de neige noire formée de cendres : que se passait-il ? Nous nous mettons à la fenêtre, les bras sur la barre d’appui, pour interpeller les rares passants et quelques camions militaires afin d’avoir une explication : les entrepôts de carburant du Havre, de Rouen et de la région parisienne seraient en feu […]. La laiterie et son personnel étant réquisitionnés, pas question de partir comme tout le monde […] ».
« Mardi 11 juin : c’est toujours l’attente, on prépare les bagages ».
« Mercredi 12 juin : les Allemands sont à Compiègne et à Chalons-sur-Marne. Mes parents ne vont pas quitter Pierrefitte alors que leurs locataires, M. et Mme P*, qui avaient une bonne cinquantaine d’années, vont partir à pied avec une valise sur une brouette, pensant, les pauvres, atteindre ainsi Clamecy dans la Nièvre, leur ville d’origine, mais ils seront de retour quelques jours plus tard. A Nogent, les garçons laitiers, faute de lait, remplissent les pots de vingt litres avec de l’essence afin de vider la cuve du dépôt […]. Ils répartissent les pots et les pneus de rechange entre les camions : environ 300 litres chacun pour faire la route. Après quoi, chaque chauffeur embarque le personnel […] ».
« Quant à nous, nous préparons nos bagages : la tante Emma ne lésine pas, elle veut son confort autant que possible. C’est ainsi que, surprise ( ! ), sont embarqués sa table de nuit et son « locataire » (le pot de chambre), la table de cuisine et ses trois tabourets, le poste de TSF (mais où serait-il branché ?), des valises de linge et de vaisselle et des couvertures (« les nuits pouvant être fraîches ») et enfin le ravitaillement […] : 20 kg de sucre, du café, des conserves variées, des paquets de gâteaux secs, des paquets de pâtes […], mais pas de pain car le boulanger d’en face est déjà fermé. Par-dessus tout cela, les fameux matelas que nous verrons par la suite sur le toit de tous les véhicules […]. Tout est prêt pour le grand pique-nique ! […] La nuit du 12 au 13, nous dormons sur les sommiers qui allaient rester à la maison, les matelas étant déjà chargés sur le camion ».
Le grand départ
« Jeudi 13 juin : à 5h du matin, rassemblement des voyageurs dans la cour de la laiterie. Cela rappelle un peu le départ des diligences d’antan. Les grands parents avaient promis d’emmener des voisines […], mais tout le nécessaire de pique-nique a pris beaucoup, disons même, toute la place, donc les trois jeunes (j’avais dix-huit ans) (c’est-à-dire, en plus de Lucien, les deux enfants d’une voisine : Denise, 15 ans, et Henri, 12 ans) devront s’installer dans le camion qui était censé suivre celui de Pépère […]. Chacun prend sa place, nous, les jeunes, avons les jambes ballantes dépassant du derrière du camion. Comme il faisait beau et chaud heureusement, j’avais laissé mon veston et mes papiers dans le camion du grand père et étais donc juste en pantalon et chemise […]. Mais nous restons dans la cour, toujours sous l’ordre de réquisition et nous attendons le feu vert du commissariat […]. A 18 h, un inspecteur arrive en vélo tout essoufflé pour nous donner, non seulement la permission de partir mais l’ordre de filer au plus vite […]. Direction Nationale 7 vers le sud avec arrêt à Montargis pour se regrouper en cas d’éparpillement. » Effectivement, la route est extrêmement encombrée. Néanmoins le convoi de dix camions reste encore groupé. « Nous nous arrêtons à la nuit tombante, sur le bas-côté de la route, où nous passons la nuit […] »
« Vendredi 14 juin […] : à 10 km/h, nous traversons Villeneuve-St-Georges (Val de Marne) dont une unité du génie est en train de miner le pont sur la Seine, puis Corbeil (Essonne), et nous voilà sur la N7, la route du soleil. Elle est à sens unique, Nord/Sud, avec 5 voitures de front ; nous rattrapons le gros de la troupe, civils et militaires confondus […]. En ce qui concerne les premiers, on trouve des voitures de luxe belges, des voitures plus prolétaires venant du Nord et de Paris, des autobus parisiens, des voitures de pompiers, des tracteurs, des charrettes à chevaux, des vélos, des side-cars, des brouettes, des landaus d’enfant, des ambulances, des corbillards, qui, pour une fois, transportent des vivants, les jambes ballant sur les côtés […]. En ce qui concerne les seconds, les militaires sont représentés par des fantassins sans fusil, des artilleurs sans canon, des spahis sans chevaux […]. Notre caravane laitière de Nogent s’est déjà disloquée. Nous traversons la forêt de Fontainebleau et avons parcouru allègrement 50 km en une matinée. Pas question de faire une pause dans la forêt, nous perdrions notre place dans la file ! Dans les fossés apparaissent les premiers véhicules abandonnés, faute d’essence […] ».
« Samedi 15 juin : Nous traversons Montargis (Loiret) sans nous y arrêter comme prévu […]. Plus loin […], j’avoue avoir fait la queue […] pour mettre franchement à sac une auberge et en ressortir avec des bouteilles poussiéreuses de Châteauneuf du Pape : nous n’étions pas regardants sur le millésime ! Le pillage était devenu monnaie courante et ce n’était pas souvent la faim qui en était l’origine : de toute façon, on pourrait toujours par la suite mettre cela sur le dos des envahisseurs et puis, « c’est toujours ça qu’ils n’auront pas ! » Le pillage fut surtout le fait de Français, civils et militaires […] ».
À Gien, il suffit de passer le pont… à temps !
« Dimanche 16 juin : A quatre camions, nous atteignons Gien (Loiret) vers 12h30, le pont est encore praticable : nous avons parcouru environ 150 km en 66 heures. Nous traverserons la Loire, fleuve qui devait servir, comme avant la Somme puis l’Aisne, la Marne et la Seine, d’ultime ligne de résistance : en fait une seule batterie de 75 sur la rive gauche ! » C’est à ce moment que les stukas interviennent. Mais – ouf ! – le camion de Lucien est passé. « Nous nous arrêtons pour déjeuner en même temps que le pont à 200 m de nous est bombardé et détruit ». Le grand-père, lui, arrivera trop tard, et, n’ayant pas réussi à passer le fleuve, devra rebrousser chemin une semaine plus tard, sur l’ordre des Allemands. En conséquence, Lucien n’a plus d’autres affaires que ce qu’il porte sur lui, puisque tout le reste était dans l’autre camion.
Des dix camions, au bout de 180 km depuis leur point de départ, il n’en reste plus que quatre, qui peuvent maintenant filer sur la route, car de l’autre côté de la Loire, « la cohue a disparu […]. Nous nous arrêtons pour attendre vainement les traînards de notre convoi laitier, ce qui nous permet de nous dégourdir les jambes qui ballottent depuis déjà trois jours à l’arrière du camion. Pour nous trois, les jeunes, nous avons le cœur un peu serré car nous sommes séparés des nôtres et c’est maintenant vers l’inconnu que nous nous laissons entraîner, sans but précis ».
La caravane décide de prendre « la route de Nevers, ce qui nous fera traverser Cosne et la Charité-sur-Loire. Mais, au préalable, le camion en tête de file, ayant aperçu une ferme qui pourrait peut-être nous apporter gîte et ravitaillement, s’engage sur une petite route plus ou moins carrossable pour la rejoindre. Là, aucune âme qui vive, aucun chien, la porte est restée ouverte, donc nous en concluons que les propriétaires sont eux aussi sur la route, après un départ précipité dans un moment de panique. Bonne aubaine pour nous car la faim nous tenaille ! Les quatre camions se garent dans la cour et certains vont cueillir des fraises dans le jardin, d’autres ramasser des œufs dans le poulailler. Les femmes préparent une bonne omelette et après avoir mis assiettes et couverts, pris dans le buffet, sur la grande table, nous nous installons tous pour manger ». Tout à coup, stupeur, les fermiers reviennent des champs ! Mais ce sont de braves gens qui acceptent leurs excuses embarrassées et refusent même le dédommagement qu’ils sont prêts à leur verser.
Donc, ce soir-là, ils reprennent la route, pour s’arrêter près de la Charité-sur-Loire (Nièvre, à 75 km de Gien), et ils s’installent dans une grange pour y passer une nuit reposante. Ils en ont bien besoin. Mais une demi-heure après leur arrivée, le cri d’alarme « Ils sont là ! » précipite leur départ. « Ils », c’est-à-dire les Allemands, bien sûr… « Nous nous trouvons alors séparés des trois autres camions. Il était grand temps de partir en effet, car cette paisible petite ville sera peu après le théâtre de durs combats […]. Nous allons dormir un peu plus loin sur le bas-côté d’un chemin avec une valise pour oreiller ».
Seuls, de plus en plus seuls, tout seuls désormais
« 17 juin : à 8h nous sommes à Menetou-Salon (Cher, 45 km à l’ouest de La Charité : l’axe de marche a complètement changé), et c’est là que se produit une nouvelle séparation : la femme du chauffeur du camion dans lequel nous sommes nous fait gentiment comprendre qu’ils ne peuvent nous garder ; ils ont déjà deux enfants et le ravitaillement devient de plus en plus difficile. Nous quittons leur camion et nous nous fixons Le Mans comme objectif : le père de mes deux compagnons y serait responsable d’un camp d’internés civils de nationalité ennemie. En fait, il n’y était plus, mais nous l’ignorions. Nous ne sommes pas du tout au courant de la situation militaire, ni du positionnement des Allemands, ni de la distance qui nous en sépare. En tout cas, nous ne sommes pas embarrassés par les bagages : une couverture, 20 francs en poche et aucune pièce d’identité – elles sont restées dans le camion des grands parents ».
« Dans la matinée, vers 12h30, nous prenons le train pour remonter au moins jusqu’à Bourges : billet gratuit à classe unique : c’est dans nos prix ! C’est un wagon à charbon, heure de départ indéterminée. Nous partons enfin, mais nous nous arrêtons à chaque passage à niveau pendant un quart d’heure […]. Nous en profitons pour nous rafraîchir et faire un brin de toilette au puits du garde barrière, resté, lui, fidèle au poste et dont l’épouse tire de l’eau du puits qu’elle vend aux réfugiés. Et puis ça redémarre : les attardés pourront toujours rattraper leur wagon à pied ! Enfin, après 5 heures pour faire une cinquantaine de kilomètres, nous sommes à Bourges (Cher, en réalité à 20 km de Menetou, les heures et les kilomètres ont dû compter au moins double, en raison de la lenteur du train !). Nous apprenons par des soldats, qui ne cachent pas leur joie de sortir indemnes de ce cauchemar, qu’une demande d’armistice a été faite. La joie des militaires est partagée par une foule de civils qui s’embrassent sur le quai […]. En attendant, il nous faut descendre de notre wagon : la place de la gare, transformée en dortoir, ne peut nous servir d’asile, alors, à pied, nous prenons la route « au p’tit bonheur la chance » ».
Auto-stop « militaire » : une fois, deux fois, trois fois
De fait, la chance les accompagne, un camion militaire les prend en charge à destination de Vierzon (Cher, 40 km de Bourges). « C’est la bonne direction, nord-ouest, pour atteindre notre but, Le Mans… à 200 km comme nous venons de le découvrir sur une carte : nous voulons remonter sur Tours alors que tout le monde en redescend ». Une fois arrivés à Vierzon, il ne leur reste qu’à continuer à pied. Au bout d’une dizaine de kilomètres, « nous passons la nuit dans une prairie à la belle étoile […], nous partageons une couverture à trois sous la pluie […] ».
« 18 juin : Un peu d’eau sur la figure dans une ferme voisine et la promenade continue : heureusement le beau temps est des nôtres. Sur les bords du Cher, des soldats nous donnent une grosse miche de pain, une grosse boîte de pâté, un couteau et un ouvre boîte – que j’ai gardés en souvenir ». Un peu plus loin, les trois jeunes sont pris en charge par des soldats du Génie et sont admis parmi les passagers d’une sorte d’embarcation traînée par un tracteur. « Le soir, nous atteignons à 21h Vatan (Indre, à 30 km au sud-ouest de Vierzon), où nous dînons, nous reposons et puis roulons de nuit vers St Gaultier », en passant par Châteauroux (Indre).
« 19 juin : Nous resterons à Saint Gaultier (Indre, à 65 km de Vatan) de 7h jusqu’à 15h […]. Ensuite, nous [devons repartir] dans la direction d’Argenton sur Creuse, sur une route un peu plus dégagée ». Toutefois, il est nécessaire de refaire le plein d’essence avant de quitter Saint-Gaultier. « C’est pendant cet arrêt, après le déjeuner de pain et de pâté et alors que chacun, dans une petite sieste des plus bourgeoises, cherchait digestion et oubli, qu’une vingtaine d’avions de ces vaillants italiens qui nous ont déclaré la guerre le 10 juin alors que nous étions déjà « à genoux », volant bas, lâchèrent leurs bombes sur la ville […]. » Toujours ces fameux avions italiens que tout un chacun croit avoir vu pendant cette courte période de la guerre franco-italienne !
Les trois jeunes sautent prestement à bas de leur engin. « Inutile d’y remonter : sous prétexte d’aller faire le plein de carburant, les militaires détal[ent] et ne revi[ennent] pas : notre tracteur [a] bel et bien « foutu le camp ». Nous abandonnons donc notre boîte à sardines et, suivant l’avis qui nous est donné, nous annulons l’idée de gagner la Sarthe. Pourquoi ne pas prendre la route du Blanc puisqu’elle se trouve indiquée là ? Même si nous ne savons pas où elle nous mènera ».
« Nous nous préparons à passer une nouvelle nuit à la belle étoile après avoir marché pendant 11 km jusqu’à Scoury (Indre), où nous dînons de pâté et de pain ! Des camions militaires du 28e Génie de Toulouse passent, le chauffeur du dernier camion s’arrête et nous demande où nous allons. Réponse immédiate des plus franches : « nous n’en savons rien ! » – « Montez alors ! » Nous ne nous faisons pas prier et nous sommes bien accueillis : nouveau parcours en camion, de nuit, tous phares éteints, par de petites routes tortueuses […] ».
Trois petits tours avec la troupe dans la campagne de la Haute-Vienne
« 20 juin : Malheureusement, dès le lendemain, nous sommes obligés de les quitter à St Sulpice-les-Feuilles (Haute-Vienne, c’est toujours 60 km de faits). Il est conseillé de gagner Limoges par un petit train départemental qui a ici son terminus. Le voilà : trois wagons voyageurs cette fois-ci, nous montons dedans le pied ferme et le cœur aussi léger que le porte-monnaie ».
Ils se croient sauvés, déjà parvenus au centre d’accueil de Limoges. Mais le contrôleur surgit : « « Où allez-vous ? – Limoges. – Trois places, ça fait 72 francs » ». Ils ont beau expliquer qu’ils sont réfugiés, dépourvus d’argent. Le contrôleur est intraitable, et aucune des « trois braves femmes, chapeau sur la tête et gros panier en osier sur les genoux, revenant de faire leur marché » ne se propose de les aider. « La sentence tombe sans appel : il faut descendre au prochain arrêt à Arnac-La-Poste […]. Il est 11h30 et la gare d’Arnac (Haute-Vienne, le trajet en train n’était que de 8 km !) apparaît comme une baraque en fibrociment hermétiquement close sur la seule petite route, ce qui évite les hésitations et simplifie les choix. Sur le côté, un petit chemin bordé d’arbres où sont camouflés les camions d’une compagnie du 8e Génie à laquelle appartiennent un « seconde classe » de Nogent et un adjudant de Saint Maur les Fossés : ceux-ci nous invitent à bord. Ils reviennent de Belgique et en cours de route, se sont bien approvisionnés. Dans le camion qui nous adopte et qui est censé transporter des fûts d’essence, on voit un buffet de cuisine bien garni, une table et des chaises de camping : c’est la vie de château ! Un orage éclate et nous allons nous coucher sous une tente après avoir dîné d’une soupe aux vermicelles, d’un rosbif aux lentilles, d’une salade, de confiture et de crème de marron ».
« Vendredi 21 juin : Réveil à 7 h, petit déjeuner de café au lait, de petits beurres, de pain et de chocolat. Nous déjeunons et dînons à St Sulpice-les-Feuilles (retour à l’étape de la veille).
« Samedi 22 juin : Réveil à 6 h, départ à 7, casse-croûte à 9h30 après 54 km. Nous déjeunons à Saint Priest (Saint-Priest-sous-Aixe, Haute-Vienne, à 75 km plein sud de Saint-Sulpice, et un peu à l’ouest de Limoges) : un apéritif, puis des rillettes du pays, du « singe » (bœuf en conserve de l’intendance militaire) aux oignons, des petits pois, de la laitue à l’œuf dur, de la compote de pommes, du café et du cidre bouché. Nous nous déplaçons ensuite sous la pluie et nous dînons à Ladignac-le-Long (Haute-Vienne, à 35 km au sud-est de Saint-Priest) dans une ferme qui nous offre : soupe aux légumes, pâté de campagne, omelette, bœuf sauté et compote (Il y a des menus qui font date pendant l’exode !). Nous nous couchons dans une grange vers 22 h ».
« 23 et 24 juin : Nous déjeunons, dînons et dormons toujours dans la grange […]. Les quatre jeunes pères de famille qui nous avaient pris sous leur aile […] se promettaient de nous ramener à Paris après leur démobilisation ».
« Mardi 25 juin : Déjeuner à Ladignac et départ pour St Germain-les-Belles » (Haute-Vienne, 40 km plus à l’est). En fait l’itinéraire général de ces jours s’enroule autour de Limoges, contourné par l’ouest et le sud, Limoges qui exerce, avec son Centre d’Accueil, une sorte d’attraction contrariée.
« 26, 27, 28, 29 et 30 juin : Nous déjeunons, dînons, dormons à St Germain […]. Les jours s’écoulent bien gentiment entre manger et se promener dans les bois […] ».
« Lundi 1er juillet : Départ vers 11 h en camionnette pour Limoges […]. Les soldats doivent rentrer en caserne et être démobilisés, aussi nous laissent-ils au centre et repartent. Nous trouvons 200 000 réfugiés allongés par terre dans cette ville. »
Limoges ne tient décidément pas ses promesses ! Aussi les trois jeunes préfèrent-ils revenir dans la grange accueillante de Saint-Germain, où on ne s’attend évidemment pas à leur retour. « Nous n’avons pas de carte pour nous diriger, qu’importe, nous retrouverons notre chemin. Nous quittons cet « enfer » de Limoges à 13h20 et après 42 km sous un soleil de plomb, avec des moments de doutes […] et des envies d’abandonner l’aventure, nous faisons notre entrée dans la grange à 0h15. Stupéfaction générale […]. La semelle en caoutchouc de mes souliers avait presque fondu ! ».
Juillet, jours tranquilles à Guéret
Ils repartent le lendemain pour Guéret (Creuse, à 85 km, au nord-nord-est), mais en camionnette, cette fois. Là, ils sont généreusement logés et nourris par une brave dame, la tante de l’adjudant qui les a pris sous sa protection. La poste va bientôt fonctionner à nouveau et ils pourront rassurer leur famille. Un beau jour, les deux compagnons de Lucien disparaissent sans crier gare, ils ont dû trouver à l’improviste une occasion de rentrer à la maison. La logeuse de lui dire : « « Votre frère et votre sœur ont emporté leur paillasse et m’ont dit au revoir et merci, je n’ai pas compris » – « Mais ce n’étaient ni mon frère, ni ma sœur, seulement les enfants d’amis de mes grands-parents. » – « Oh ! Mon Dieu, et je vous ai laissés coucher ensemble ! » »…
Lui-même sera de retour à Nogent le 3 août (440 km, en trois jours), ayant eu la bonne fortune de rencontrer des laitiers d’une fromagerie du Nord, dont les trois camions rentrent chez eux. Ce que c’est que la solidarité professionnelle !
Lucien LE GALL (1922-2011), Mon exode (jeudi 13 juin-samedi 3 août 1940). Collection personnelle. Document de 13 pages (A 4) aimablement communiqué, à la demande de l’auteur, par sa fille Danièle Le Gall, qui l’avait aidé à mettre au net et à saisir sur un ordinateur, en avril-mai 2010, des souvenirs notés sur une multitude de supports séparés.
Chronique passionnante et « joyeuse » de cette équipée de jeunes certainement pas contrariés par l’aspect aventureux de leur périple. Dans la déroute ambiante, le vécu de ces jeunes prend la dimension d’un conte irréel… Très intéressant témoignage…
En effet, en juin 40, alors que pour les personnes d’un certain âge les événements font revivre des expériences amères et annoncent des lendemains pénibles, pour beaucoup de jeunes, amenés à se débrouiller seuls, ils ont un goût de nouveauté et surtout de liberté.