Il avait déjà la cinquantaine passée lorsqu’il a vécu la Première Guerre mondiale comme aumônier de l’ambulance américaine de Neuilly. Il n’a évidemment pas été mobilisé en 1940. Il est simplement resté à son poste de professeur de littérature française, à l’Institut catholique de Paris, et d’éditeur de livres pour la jeunesse, à Meudon. Une petite vie tranquille. Mais il est très profondément attaché à sa patrie la France, et il est aussi très anglophile : le mois de mai 1940 est pour lui « un extravagant tourbillon de maux ».
Le bâton de pèlerin
« Et soudain il a fallu reprendre, à 78 ans, le bâton du voyageur. » « Je m’étais pourtant bien dit que je ne partirais pas, que je demeurerais, quoi qu’il advînt. » Mais son entourage est déjà parti et des amis bien intentionnés insistent pour l’emmener en voiture. « Au dernier moment (le 11 juin) […], je me laissai entraîner ». En route, donc, probablement à partir de Meudon (Essonne), où il réside. Sur les routes, c’est la cohue, l’enchevêtrement si souvent décrit des piétons, des cyclistes et des véhicules les plus hétéroclites. « Maintes fois, l’ennemi aérien, non content de déverser de là-haut ses bombes sur l’amas des fugitifs, descendait très bas pour les mitrailler à l’aise […]. Et les malheureux devaient, au moment de repartir, laisser là leurs morts, quelquefois très proches ». Dans ces conditions, on n’avance guère. Enfin, « à la nuit tombée, il fallut s’arrêter tout à fait. Nous étions à Dourdan » (Essonne), c’est-à-dire seulement à 50 km du point de départ. La place principale est remplie de véhicules, dont les passagers ne trouvent pas où se loger. « J’eus la chance de me faire ouvrir la porte de la cure et d’y passer quelques heures dans la serre sur un vrai matelas ». Première manifestation de la solidarité sacerdotale, particulièrement bienvenue pour un vieillard comme lui, et qui ne lui manquera pas dans les jours suivants.
La première étape devait les amener le soir même chez des gens de connaissance, à Poinville (Eure-et-Loir). Ils n’ont pas pu y parvenir, mais ils repartent au petit jour du 12 juin, suffisamment tôt pour éviter les encombrements de la veille, et franchir en moins de quatre heures les 45 kilomètres qui leur restent à parcourir pour atteindre ce village. Là-bas, l’abbé a le temps de dire sa messe et il peut, ainsi que ses amis, se reposer un moment. Ils repartent en début d’après-midi pour Orléans, à 30 km, afin d’y reprendre de l’essence ; et ses obligeants compagnons promettent à l’abbé d’atteindre le soir même Cérilly (Allier), où il a des amis : ce n’est pas loin de Moulins, d’où il compte prendre le train pour passer à Cluny, avant de se réfugier quelque part dans les Alpes. Pourquoi Cluny ? Il n’en dit rien. Mais on peut supposer qu’il tient à voir ou revoir l’abbaye, même démantelée, qui a été un haut lieu de la chrétienté, le cœur de l’Église catholique du XIIème siècle, et qui reste un chef-d’œuvre de l’art roman.
Au grand séminaire d’Orléans, belvédère sur la ville
« C’était un trop beau rêve. Mes compagnons, trouvant moins d’essence qu’ils n’en espéraient et ne voulant pas, disaient-ils, m’exposer à passer la nuit en voiture sur la route, préférèrent me laisser à Orléans ». Pense-t-il être un peu trop facilement abandonné ? En tout cas l’abbé commence à regretter d’être parti dans des conditions désormais aussi aléatoires. Certes, avant de s’esquiver, ses amis trouvent à l’abbé un gîte chez un curé d’un faubourg de la ville, et il y passe une bonne nuit, mais son hôte, pressé de prendre à son tour la fuite, l’en chasse aimablement dès le lendemain. Grâce à la rencontre providentielle d’un autre prêtre, qui a été de ses élèves à l’Institut catholique, il trouve refuge au Grand Séminaire d’Orléans. « Là aussi, depuis la veille, c’était le branle-bas de l’évasion. » Ce n’était donc pas trop difficile d’y trouver une chambre laissée libre par le départ précipité d’un séminariste. Bien mieux, l’Économe, mis au courant, lui affecte l’appartement réservé aux visiteurs de marque.
« Je restai au grand séminaire un peu plus de quarante-huit heures. Trois nuits de suite dans la même chambre me parurent un bienfait inouï, quoique je dusse, vu le bombardement, en passer une partie appréciable dans l’abri des caves. » Cet établissement constitue pour lui un poste d’observation privilégié sur le cours des événements. En effet, « à la chapelle, au réfectoire, sur la terrasse qui domine la Loire, se rencontraient […] des prêtres-soldats de passage ». Leurs récits contiennent maints détails illustrant l’état d’impréparation et de désorganisation de l’armée, et la disproportion des forces en présence. Dans l’ensemble, ils lui apparaissent résignés à la défaite.
Le jeudi 13 juin, l’abbé parcourt la ville, où de nombreux réfugiés cherchent une aide, ou simplement des renseignements, sans pouvoir en obtenir, car « Orléans tout entier avait fui ou songeait à fuir ».
Le lendemain vendredi 14, « ce fut pire encore […]. L’exode était complet. La municipalité et toutes les autorités avaient donné l’exemple de la fuite […]. Il ne restait dans la ville affolée que des gens venus du dehors, pour la plupart épuisés de fatigue et de faim. ». Dans la cohue, un cycliste renverse l’abbé, qui s’en tire avec une arcade sourcilière fendue et un verre de lorgnon brisé.
À proximité de la cathédrale, sous les bombardements
Le samedi 15, les derniers résidents du Grand Séminaire (les sœurs, le concierge) vont partir à leur tour, et le Supérieur emmène son hôte à l’Évêché, pour le recommander à « l’Archiprêtre de la cathédrale, demeuré absolument seul, sans vicaire, sacristain ni servante ». Naturellement celui-ci, tout heureux à l’idée d’avoir un compagnon, est d’accord pour l’héberger dans son presbytère. « La perspective m’enchanta, je fus reçu à bras ouverts par l’Archiprêtre, à qui je promis en riant […] de remplacer tout son personnel. » L’affaire conclue, et après un dernier repas succinct au grand séminaire, l’abbé prend en début d’après-midi le chemin de son nouveau logis, accompagné du concierge roulant une brouette chargée de quantité de provisions, tirées des réserves de l’établissement, « qui devaient nous aider, l’Archiprêtre et moi, sinon à soutenir un siège, du moins à passer une partie de la guerre. Je commençais vraiment, malgré le bruit de quelques bombes, à revoir la vie en rose ».
Sa chambre, dont la fenêtre donne sur la place de la cathédrale, lui plaît beaucoup. L’archiprêtre y vient lui rendre visite. Il est 16h30 « quand un bruit, le plus formidable que j’aie entendu de ma vie, retentit près de nous, faisant voler en éclats portes et fenêtres » ; une statuette du curé d’Ars, placée sur le bureau, en perd même la tête. Les deux hommes vont précipitamment se réfugier à la cave. Leur premier soin, quand ils en sortent, à la faveur d’une accalmie, est de regarder ce qu’il est advenu de la cathédrale. « Elle se dressait toujours, majestueuse et inébranlée […]. Mais devant la façade, à quelques pas seulement du portail et des tours, un trou gigantesque vomissait encore poussière et fumée ». La place est couverte de gravats, et dans le cratère énorme, « gisaient, nous dit-on, deux morts et quelques blessés ».
Des femmes (des réfugiées) aident les deux hommes à dégager les couloirs et une partie des pièces du presbytère, en éliminant les débris qui les rendent impraticables. « Ma petite chambre, elle, n’était pas déblayable ». Et l’abbé va transporter ses pénates dans une salle de bains, où il installe un matelas dans un coin, le plus loin possible de l’unique fenêtre à demi bouchée par un moyen de fortune. « On dîna, un peu plus tard, sans autre luxe que le concert d’un bombardement presque continuel ». L’archiprêtre et les réfugiés qu’il a accueillis descendent dormir à la cave. « Avec mon idée qu’une bronchite certaine est plus à craindre qu’un obus douteux, j’essayai de dormir dans ma salle de bains. C’était compter sans les Allemands […]. Pendant une heure ou deux, je tins bon sous leur musique ». Mais à un moment, il y a une telle explosion que l’abbé, allumant sa lampe de poche, constate que tout est bouleversé : meubles, vêtements, porte, fenêtre ne sont plus qu’un amas confus. Et il rejoint ses compagnons dans leur cave, où on lui cède un fauteuil. « Nous récitâmes quelques prières, et l’on essaya de dormir. Les bruits sourds du dehors et le chuchotement invincible des dames ne le permirent pas ». Finalement, il remonte achever cette nuit mouvementée sur le canapé du salon.
La rencontre providentielle d’une pieuse dame
Ce qui ne les empêche pas, l’archiprêtre et lui, au matin du dimanche 16 juin, d’aller, l’un à 7 heures, l’autre à 8, dire leur messe à la cathédrale. Ensuite, le presbytère étant devenu totalement inhabitable, ils sont accueillis par le suisse dans son logement, situé dans les contreforts. « J’avoue que d’habiter les combles d’une cathédrale en butte aux bombardements ne me déplaisait en aucune façon, ayant toujours aimé en voyage l’imprévu et le rare ». Toutefois il n’aura pas à goûter le charme et les dangers de cet asile. Et il ne restera pas immobilisé à Orléans. La Providence veille sur lui. En effet, il est abordé dans la rue par une dame d’une cinquantaine d’années, qui souhaite recevoir de lui la sainte communion. « Ayant voyagé toute la nuit, elle était restée à jeun dans cette espérance. » Vœu bien facile à exaucer. Mais un bienfait, et surtout quand il consiste dans les secours de la religion, n’est jamais perdu. Elle est seule dans sa Simca cinq, et toute disposée à prendre l’abbé comme passager.
« Une demi-heure plus tard, je quittais avec émotion l’Archiprêtre, qui m’embrassa fraternellement, bien que j’eusse pris un de ses chapeaux, faute de retrouver le mien ». Les rues sont désertes ; au centre de la ville, des maisons en ruines « flambaient ou fumaient encore ». En tout début d’après-midi, la Simca passe le pont George V, peu avant que le Génie français le fasse sauter. L’abbé et sa conductrice atteignent Cléry (Loiret). Là, pendant que sa conductrice part à la recherche d’un peu d’essence, « trois ou quatre voyageurs, me prenant pour le prêtre de Cléry, me demandèrent d’enterrer leur vieux père mort d’épuisement cette nuit-là dans la voiture. Sur mon conseil, ils le déposèrent dans une chapelle où attendait déjà un autre corps ; on les enterra tous deux quelques heures plus tard ». La compagne de voyage de l’abbé s’est procuré cinq litres d’essence. Cela devrait leur suffire pour atteindre Romorantin le soir même. Mais les nombreux convois militaires les ralentissent. Il y a aussi des attaques aériennes qui les forcent à s’arrêter pour s’abriter, comme celle qui les surprend « au milieu d’un village rempli d’évacués dans la longue et unique rue qui se confond avec notre route ». Ils assistent alors à des scènes déchirantes : enfants terrorisés, parents recherchant angoissés leurs bambins qui jouaient dans un bois au moment du bombardement. Et puis, au village suivant, ils tombent en panne. « Ma compagne passe la nuit dans l’auto, moi au presbytère débordant de fugitifs ; le curé, très hospitalier, tient à me donner un matelas dans son petit bureau ».
Au matin du lundi 17, l’abbé dit sa messe à l’église du village, puis ils troquent du pain contre deux litres d’essence, ce qui leur suffit pour atteindre Romorantin (Loir-et-Cher). Leur intention est de continuer vers Issoudun, mais une erreur de navigation – qui leur apparut par la suite providentielle – les en détourne. Peu de temps après, en effet, il y a eu à Issoudun un terrible bombardement ayant fait des centaines de victimes. Ils continuent droit devant eux au jugé, vers le sud. À 15 km de Romorantin, « nous traversâmes le Cher à l’entrée d’une petite ville qui, sur panneau bleu, arborait le nom, pour nous inconnu, de Chabris » (Indre). Leur intention n’est nullement de s’y arrêter. Mais l’enseigne du « Café du Commerce » retient leur attention, ils décident d’y faire une halte pour boire un café. Le destin l’aura voulu. L’abbé n’en repartira pas, du moins pour un long moment.
Terminus Chabris
« Parmi les buveurs du Café du Commerce, un bruit grave circulait, disant la guerre finie et que l’armistice venait d’être signé ». Il court au presbytère, où effectivement deux prêtres sont en train d’écouter le fameux discours de Pétain : « C’est le cœur serré que je vous dis aujourd’hui qu’il faut cesser le combat ». L’abbé remarque l’ambiguïté des termes utilisés, « on pouvait croire accomplie l’entière capitulation des journées suivantes », mais il est surtout sensible à la trahison de la France à l’égard de son allié britannique : « « Mais l’engagement, m’écriai-je, l’engagement de ne pas signer de paix séparée ? » Et j’éclatai en larmes ». Dès lors, cela a-t-il un sens de reprendre la route ? Spontanément, le curé de Chabris s’offre à le garder auprès de lui. Et l’abbé accepte, laissant repartir seule sa conductrice, non sans la remercier chaleureusement et lui demander son adresse : c’est ainsi qu’il apprend sa haute position sociale (qu’il ne précise pas).
L’histoire de l’exode de l’abbé ne se termine pourtant pas à ce moment, comme on va voir. Hébergé une première nuit par le bon curé, il tient à se transporter le lendemain 18 juin à l’Hôtel de la Plage, sur les bords du Cher. « La chambre était propre et la nourriture saine ; pour la première fois depuis une semaine, je défis mon bagage et je procédai, non sans soulagement, à une vraie installation. Il n’y avait pas de salle de bains, mais je me promettais un bon tub pour le lendemain matin ».
Cette modeste joie lui est refusée. Dans la nuit, très précisément à 5 heures du matin, le mercredi 19 juin, on tambourine à sa porte, il faut se mettre à l’abri, l’arrivée des Allemands semble imminente, et les soldats français vont défendre le pont sur le Cher, à 50 m de l’hôtel. « La journée se passa pour les habitants de Chabris, indigènes ou réfugiés, dans une attente fort anxieuse […]. Pour retarder l’avance ennemie, nos Français n’étaient pas nombreux : un lieutenant, un aspirant, un sergent-chef, avec une troupe de quinze à vingt hommes. Tout auprès du pont bien barricadé et sur le pont même, il y avait, en tout et pour tout, un canon de 75, une auto-canon, trois tanks et trois mitrailleuses ». Par prudence, l’abbé va s’installer chez des paroissiens accueillants qui habitent en face du presbytère, près de l’église, 600 mètres au sud du fameux pont.
La bataille du pont sur le Cher
« La lutte s’ouvrit de bonne heure le jeudi 20. Commencée à 8 heures, elle ne cessa qu’à deux heures de l’après-midi. Nos soldats, supérieurement dirigés, avaient tenu bon durant plus de six heures », avant de se retirer sur ordre du commandement. Les Allemands perdirent environ 250 hommes, tués ou blessés (les décomptes ultérieurs confirment les chiffres donnés par l’abbé), et un important matériel, tandis que les soldats français ont eu seulement un blessé et sont repartis avec leur armement, ne laissant sur le terrain, en partant, qu’un char inutilisable. L’abbé admire cette remarquable action. « J’aimerais savoir le nom […] du jeune lieutenant qui la dirigea, héroïquement debout près de ses pièces et de ses soldats, qu’il avait pris soin de rendre invisibles ». Nous sommes à même d’exaucer ce vœu : il s’agissait du lieutenant Ledouce, assisté de l’aspirant Jullien, du 41e R.I. Ils sont la preuve vivante que la résistance, en ce terrible mois de juin, n’était pas impossible, pour peu qu’on le veuille vraiment.
Ce jeudi 20 juin, donc, l’abbé commençait à dire sa messe quand retentissent les premiers coups de canon et les tirs prenant en enfilade la rue toute droite qui mène du pont à l’église. « J’hésitai un instant sur ce qu’il fallait faire. Je décidai de célébrer quand même. Un tel cadre, après tout, ne convenait pas mal au grand Sacrifice ». Il ne peut cependant continuer longtemps cette « belle messe en musique ». Même si « oncques n’ouïs pareilles orgues » ! Il est ennuyeux quand même que le fracas des explosions empêche l’officiant et le servant de s’entendre mutuellement. D’ailleurs, les fidèles commencent à s’esquiver.
« Après l’action de grâces, un peu écourtée, je l’avoue, et après quelques rapides confessions, je pensai sans vergogne au petit déjeuner ». Pas question d’aller le prendre à l’hôtel, l’itinéraire jusque-là est terriblement dangereux. C’est donc dans la cave de la maison où il vient de passer la nuit qu’il retourne pour le petit déjeuner et le repas de midi avec ses hôtes chabriots (c’est ainsi que se nomment les habitants de cette petite ville) ainsi qu’avec les réfugiés alsaciens qu’ils hébergent. « Belle occasion de faire vraiment connaissance et de lier amitié. J’en profitai si bien que j’y perdis toute envie de continuer mon voyage. Tant pis pour les agréments de la route ! ». En fin de journée, il retourne à l’Hôtel de la Plage, qui a été très éprouvé. Mais « les seules victimes furent trois hirondelles abattues dans la cour, et une malheureuse poule qui en s’agitant rencontra la mort. On la mangea le soir en dépit de sa belle conduite, avec plus d’appétit que de regrets. »
De la difficulté de rentrer en zone occupée
L’abbé reste à Chabris jusqu’au 17 septembre, remâchant sa détestation de la « fausse France de Vichy », visitant, en tentant d’apporter son aide, les lieux de fortune où s’entassent les nombreux réfugiés bloqués là, les 600 Alsaciens qui y résident depuis septembre de l’année précédente, et plusieurs milliers de ceux qui y sont arrivés en juin et sont obligés d’y demeurer, faute d’être autorisés à rentrer chez eux. Le Cher en effet est une frontière, pas seulement entre le département du Cher et celui du Loir-et-Cher, mais entre les deux zones séparées par la ligne de démarcation. Chabris est du côté de la zone non-occupée, mais les Allemands contrôlent le passage et empêchent de passer ceux qui veulent rentrer en zone occupée. Autre conséquence, assez inattendue, de cette situation : au bout d’une dizaine de jours les troupes allemandes disparaissent, remplacées par quelques éléments de l’armée d’armistice, cette armée-croupion que les vainqueurs ont laissée à la disposition du vieux Maréchal.
Pour sa part, à la mi-septembre, l’abbé doit user de ruse pour passer le Cher et rentrer chez lui. Il confie sa valise « à un voiturier qui faisait chaque jour le trajet de Romorantin ». Il se munit d’un laisser-passer de complaisance et de fantaisie. Puis, « je me présentai seul, en promeneur innocent, avec mon parapluie, mon bréviaire et mon petit papier ». De ce que lui baragouine le planton allemand, il retient qu’on lui demande s’il se rend de l’autre côté seulement pour la journée. « À quoi je répondis par un « Ja » prolongé ». Il prend le train, le soir même il débarque gare d’Austerlitz. Ce qui le frappe, c’est l’obscurité des rues et la multitude d’interdictions. Paris n’est plus la Ville-Lumière.
Félix KLEIN (abbé, 1862-1953), Notes d’un réfugié 1940, éd Bloud & Gay, 1945, 108 p., livre dédié à Churchill, De Gaulle et Roosevelt. Une note atteste que ce récit a été, pour l’essentiel, rédigé dès le mois de juillet 1940 – Mai-juin p. 9-34. – F. Klein est l’auteur d’une quarantaine d’ouvrages pieux, dont certains ont été couronnés par l’Académie française. – Il prend position très tôt contre la politique de Pétain, affirme « la contradiction absolue entre le Christianisme et l’esprit hitlérien », en particulier son racisme, et donne en annexe de son livre le texte de deux petits tracts contre le pétainisme et la collaboration qu’il a composés et diffusés en mai et juin 1941.