Aurélien d’AVOUT, « Le territoire recomposé. Conscience géographique et expériences de l’espace dans les récits de la France défaite (1940) »
Cette thèse, dirigée par Françoise Simonet-Tenant (Rouen) et Jean-Louis Jeannelle (Sorbonne Université), a été soutenue par Aurélien d’Avout le 16 novembre 2020 à l’Université de Rouen, devant un jury présidé par Jean-Yves Laurichesse (Toulouse) et comprenant Nathalie Piégay (Genève), Pascal Ory (Paris 1) et Marie-Hélène Boblet (Caen)
« Cette thèse entend étudier les représentations littéraires du territoire français relatives à l’un des épisodes les plus frappants de l’histoire contemporaine de la nation : la défaite de 1940. En l’espace de deux mois, la débâcle des armées et l’exode de millions de civils conduisent à l’effondrement de la Troisième République. La migration intérieure à laquelle les individus ont été contraints les arrache à leur espace de référence et leur fait découvrir la France parfois dans toute son étendue, du Nord jusqu’au Midi, des Ardennes jusqu’à la côte atlantique. Au cours de leur traversée, ils expérimentent une profonde perte de « conscience géographique » (Aragon), qui bouleverse leurs conceptions traditionnelles du territoire et accroît la confusion des esprits.
« Quoique la mémoire collective ne conserve de ces événements qu’une trace plutôt discrète, ceux-ci ont donné lieu à une extrême fécondité littéraire. Écrivains mobilisés (Gracq, Merle, Saint-Exupéry, Sartre, Vialatte) ou entraînés dans la tourmente de l’exode (Werth), mais aussi historiens (Bloch), journalistes (Rebatet) ou hommes d’État (de Gaulle) : tous les auteurs retenus ont participé à la guerre ou en ont été des témoins directs. Les œuvres de Louis Aragon et de Claude Simon – lesquels ont, plus que les autres, tiré de leur expérience guerrière une inspiration prolongée – forment le centre de gravité de notre corpus. Mixte, ce dernier regroupe en tout une trentaine de textes en prose, qu’ils soient fictionnels ou factuels, célèbres ou méconnus. Prenant pour objet de leur narration les mois de mai et juin 1940, les récits examinés relèvent de différentes temporalités d’écriture. Certains ont été rédigés « dans les dangereuses flammes de l’événement » (Aragon), là où d’autres ont éclos longtemps après les faits, tant la guerre, selon l’heureuse formule de Julien Gracq, peut mettre « des dizaines d’années à distiller ses pures essences ».
« L’ambition de notre travail consiste à envisager de manière inédite la poétique du récit de guerre ; à informer l’histoire des représentations spatiales du xxe siècle ; à élargir le champ de la géographie littéraire vers de nouveaux terrains historiques et méthodologiques. À cette fin, on s’intéresse en priorité aux différents objets d’étude que sont les descriptions d’espaces ; les références toponymiques ; les allégories et métaphores de spatialité ; les insertions cartographiques et les savoirs géographiques mobilisés par les auteurs. L’enquête accorde également une place importante à la genèse spatiale des récits : recours de l’auteur à des cartes, élaboration de croquis, retour physique sur les lieux évoqués. À cheval entre la littérature (par son matériau), l’histoire (par son contexte) et la géographie (par son angle d’approche), notre étude se distingue par une nouvelle manière de combiner les disciplines entre elles.
« La première partie de la thèse montre de quelle manière les récits font apparaître la France comme une fiction de territoire. Elle explore les différentes modalités de perception de l’espace par les individus, cerne l’ambivalence de la zone de guerre qui se superpose parfois à un paysage amène, et mesure à quel point l’appréhension du temps devient elle-même altérée.
« L’enseignement de la géographie de la France sous la Troisième République, dont les écrivains sont imprégnés, se fonde sur un paradigme présentant le territoire français comme une totalité cohérente et harmonieuse. Les événements de mai-juin 1940 remettent en question une telle représentation idéalisée et les œuvres littéraires en rendent compte par différents moyens : métaphores et allégories, dérives référentielles, mise en valeur du motif du labyrinthe.
« On s’intéresse enfin aux logiques de recomposition de l’espace national. De nombreux auteurs réagissent à l’effondrement de la France en élaborant grâce à l’écriture une « patrie intérieure » (Saint-Exupéry) de substitution. Les récits plus tardifs, notamment lorsqu’ils émanent d’auteurs politiquement engagés, réagencent les dynamiques spatiales du conflit jusqu’à en influencer la mémoire collective. »
A. d’A.