À Valenciennes, le 17 mai, c’est la panique. Tous les fonctionnaires municipaux, Maire en tête, et tous les Services publics, y compris les pompiers, ont disparu, malgré les instructions et les engagements. « Samedi 18 mai, 9 heures du matin. Je me rends à la Mairie et trouve toutes les portes ouvertes […]. Je me rends à la Sous-Préfecture. Personne ». Finalement, c’est au Bureau de bienfaisance qu’Abel Posière, le seul conseiller municipal encore présent en ville, trouve le Sous-Préfet (qu’on ne verra guère par la suite) et deux autres notables. Tous les quatre, ils courent éteindre un incendie qu’on vient leur signaler. Puis, revenus à l’Hôtel de Ville, avec le renfort d’un médecin, ils décident de la création d’une Commission administrative provisoire, chargée notamment du ravitaillement, et dont le Sous-Préfet confie la présidence à Posière, qui fera fonction de Maire, pour remplacer celui qui s’est mis à l’abri à Quimper et ne reviendra prendre sa place qu’en septembre. Quelques jours plus tard, complétée, cette Commission sera rebaptisée Comité de guerre.
On aura noté que le narrateur ne fait pas commencer son récit au 10 mai. Il ne dira même pas à quel moment précis les troupes allemandes arrivent à Valenciennes. On pourrait presque dire que la situation militaire ne l’intéresse pas. On apprendra plus tard qu’il est probablement franc-maçon. Sa préoccupation unique, tout au long des jours dramatiques que vit sa ville, est de venir en aide à tous ceux qui en ont besoin. Il s’engage d’abord à nourrir la population.
Maire d’une ville en flammes
18 mai (suite). « Pour tenir ma promesse, je pars à la recherche des boulangers. Sept d’entre eux acceptent de rester […]. J’obtiens 130 litres de lait qu’avec l’aide de deux jeunes filles, je distribue […]. Je rentre enfin chez moi. À peine arrivé, on vient m’avertir qu’un incendie par bombe d’avion s’est déclaré à l’Hôpital général pendant l’évacuation des réfugiés ».
« Dimanche 19 mai. 10 heures. Je me rends à la Mairie. Toutes les boulangeries sont abandonnées. Les boulangers qui m’avaient promis leur concours sont partis comme les autres. Plus de lumière et pas d’eau potable […]. Les troupes quittent leur cantonnement pour la direction d’Hérin […]. Deux agents de police, les derniers demeurés au Poste, m’annoncent leur prochain départ, et le fossoyeur du cimetière Saint-Jean m’informe qu’il va faire de même […]. De ce fait quelques morts resteront sans sépulture pendant plusieurs jours […]. Bientôt, on sort des caves et une foule de plus en plus nombreuse m’entoure, me demandant du pain, de l’eau, des voitures ».
Lundi 20 mai. Destruction et pillage. Chose vue : alors que des soldats affamés et sans chefs saccagent les magasins à la recherche d’un peu de nourriture, « une femme brise à coups de marteau les vitres des boîtes de bonbons ». Le lendemain, une bijouterie est mise à sac, et c’est peut-être de là que l’incendie prend son origine.
« Mercredi 22 mai. Pendant la nuit, l’incendie s’est propagé avec une violence inouïe ». Posière, toujours à la recherche de boulangers introuvables, est averti que l’Hôtel de Ville est en flammes. Il se précipite aussi vite qu’il peut. De loin, « j’entends la chute du Campanile, avec la cloche, l’horloge et la belle sculpture de Carpeaux ! C’en est fait ! Notre bel Hôtel de ville flambe comme une torche ». Du Musée municipal (peintures, archéologie, dentelles, porcelaines), sauvés lors de la Première Guerre mondiale, il ne reste plus rien.
Jeudi 23 mai. Des boulangers amateurs recrutés la veille ont disparu en laissant une fournée immangeable. Vendredi 24 mai, « le canon tonne sans arrêt […]. La circulation dans les rues est dangereuse ». Samedi 25 mai. « Les avions allemands passent et repassent […]. Nous sommes sous un feu croisé. Malgré cela, la fabrication du pain est reprise ». Pas pour longtemps.
L’incendie, lui, continue. Posière fait le bilan impressionnant des destructions. « Après s’être propagé durant 14 jours, l’incendie devait s’arrêter de lui-même ». Parfois, le feu semble épuisé et ses reprises sont assez suspectes. Posière reconstitue tant bien que mal un service de police, bien utile pour lutter contre les pillages, qui s’effectuent de plus en plus en bandes organisées. Il trouve de nouveaux boulangers, enfin fiables. Mais les pompiers font toujours défaut.
Les exigences de l’occupant
A partie du 3 juin, les dirigeants allemands de la Kommandantur qui se succèdent (4 en 8 jours) manifestent leurs exigences, et menacent à tout propos de fusiller les responsables, pourtant dépourvus de tout moyen de les satisfaire. Nouveaux problèmes. Le 6 juin, ce sont des prisonniers français qu’on leur enjoint de nourrir. « La vue de 3 à 4.000 malheureux parqués dans le jardin nous arrache des larmes à tous. Ils crient la faim. En hâte, je fais rassembler, faute de pain, des biscuits, des portions de fromage, du vin même. » Et il faut leur faire passer ces maigres vivres à travers la clôture, avant qu’ils ne repartent pour Mons l’après-midi même, « traînant leurs pieds blessés ». « Il faut débarrasser les rues des décombres qui entravent la circulation ». Il faut poursuivre « l’enlèvement des viandes en putréfaction aux Abattoirs ». Un officier supérieur allemand exige de faire disparaître des monuments patriotiques (les statues de l’abbé Delbecque fusillé par eux en 1914 et de l’instituteur Legrand fusillé en 1918) qui ne sont bons qu’à « entretenir la haine dans les cœurs ».
Le sous-préfet revenu propose en septembre 1940, en reconnaissance des services rendus, la nomination d’Abel Posière au grade de Chevalier de la Légion d’Honneur. Au lieu de quoi, il lui est signifié brutalement, en novembre 1941, sa démission d’office, en vertu de l’article 2 de la Loi du 11 août 1941 sur les sociétés secrètes.
Abel POSIERE (1868-1950), Heures vécues du 18 mai 1940 au 18 novembre 1941, brochure de 56 p., Dehon et Cie, Valenciennes-Paris, présentée, au moins au début, comme un journal quotidien, puis plus synthétique, rédigée à Valenciennes et datée du 15 décembre 1941, publiée en 1945. Posière, né à Condé, instituteur, puis directeur d’école, a exercé à Aniche, Condé et Bruille-Notre-Dame avant de s’installer à Valenciennes, où il a été élu pour la première fois conseiller municipal en 1927.
Je suis l’arrière-petit-fils d’Abel Posière.
Il a eu 6 enfants : Abel, Raoul, Marcel, Marc, Maria (ma grand-mère) et Madeleine.
Ma grand-mère Maria Posière a épousé Robert Watteaux qui a été directeur d’école à Fresnes sur Escaut – Le Trieux jusqu’en 1952. Ils ont donné naissance à deux sœurs jumelles, Marcelle et Andrée (ma mère).
Ma mère (Andrée Watteaux) s’est mariée avec Roger Descamps (mon père) et de cette union est née ma sœur Maryse Descamps et moi-même Jacques Descamps.
Je suis né le 24 mars 1946 et je devais avoir 3 ou 4 ans l’unique fois où j’ai vu mon arrière grand-père.
Je suis aussi une arrière-petite-fille d’Abel Posière, petite-fille de son fils Abel.
Abel junior à eu 2 filles 6 petits-enfants, 13 arrières-petits-enfants et 19 arrières-arrières-petits-enfants.
Je n’ai pas connu mon arrière-grand-père, décédé quelques mois après ma naissance, mais bien connu mon arrière-grand-mère Maria.
J’habite toujours le Valenciennois.
J’avais presque 6 ans en 1940. J’habitais 9, rue des Anges. Le grand bombardement de Valenciennes, je l’ai vécu dans une cave, rue Capron. Le bombardement terminé j’ai parcouru seul le cœur de la ville et ensuite tous les boulevards. De la mairie il ne restait que la façade. Une partie de la rue des Anges, côté pair, était détruite. Déjà sous-alimenté, je n’ai rien mangé durant trois jours.
Plus tard, en 1944 ou 45, je me suis retrouvé au château « Finan », situé à Saultain, dans la banlieue de Valenciennes. Là, Le directeur s’appelait Posière, – était-ce justement cet Abel Posière ? – Si c’est le cas, je suis bouleversé. Je me revois, caché au fond du parc, perché sur la branche d’un arbre, y lisant des livres que j’avais subtilisés.